Rebecca NICAIS, Requiem à deux voix, Dricot, 2021, 203 p., 18 €, ISBN : 9782870956304
Le titre Requiem à deux voix convient parfaitement à ce roman car il s’agit d’un hommage aux parents décédés de l’autrice. Rebecca Nicais a en effet pris le parti d’imaginer la parole de son père puis de sa mère pour raconter l’histoire de leur jeunesse et de leur vie de couple à travers le point de vue de chacun.
Nous découvrons ainsi dans un premier temps l’histoire de Benoît, un doux rêveur passionné de dessins, de peinture et d’art, qui voulait devenir journaliste et travailler à la radio, mais qui est devenu ingénieur agronome sous l’injonction de sa tante. Nous lisons ses premières amours, la Deuxième Guerre mondiale et un premier mariage raté car trop rapide avec une femme démente. C’est à ce moment qu’il rencontre sa deuxième femme, Rosalia (la mère de l’autrice), avec qui il aura cinq enfants et une vie commune ponctuée de nombreux déménagements et soucis financiers.
[C’] était une fonceuse, une femme de tête, habituée à se colleter avec la vie. Elle aussi m’aimait, mais ne se contenterait pas d’être ma maîtresse, elle voulait m’épouser et fonder une famille nombreuse (six enfants !). Pragmatique, elle s’était déjà renseignée. Je devais divorcer d’urgence avant que la démence de Jeanne ne soit avérée. Quitte à prendre tous les torts… grâce à un constat d’adultère par exemple.
À l’entendre, rien n’était compliqué, elle détricotait les fils d’angoisse qui m’enserraient. Elle se montrait forte, audacieuse. Elle avait sauvé son petit frère des nazis, elle me tendait la main m’évitant la désespérance.
Dans un second temps, nous sommes amenés à lire la vie de Rosalia détaillée dans un « Carnet de petits bonheurs », l’équivalent d’un journal intime. Son histoire est tout autre car marquée très tôt par le décès de sa mère, le traumatisme de l’holocauste avec son lot de cachettes pour ne pas être gazée, puis son mariage avec Benoît et son bonheur à la naissance de chacun de ses enfants et petits-enfants.
Entre les mémoires de son père et le journal de sa mère, Rebecca Nicais explique sa volonté d’exposer la « version des faits » de ses parents qui ont vécu dans un règlement de comptes permanent. De fait, ces deux-là ont été attirés l’un par l’autre car ils étaient opposés, mais ils n’ont pas pu éviter les pièges classiques de deux névroses qui se complètent. Telles deux assiettes ébréchées dépendant de leur moitié, ils ont vécu emprisonnés dans leurs failles psychiques et se sont éloignés l’un de l’autre pour finir leur vie amers et déçus.
Serait-ce pour mieux comprendre ses parents ou les rapprocher à travers la douceur du voile de la fiction que l’autrice raconte l’histoire de deux êtres enfermés dans leurs frustrations ? Ils ne se sont pas donné la possibilité de rencontrer le mystère de l’autre, un écueil si classique, qui laisse songeur. On regrettera toutefois un écho quelque peu systématique des deux points de vue, qui donnent l’impression au lecteur de lire deux fois la même histoire de couple, sans zone d’ombre ou quête de ce qui anime inconsciemment une union de personnalités singulières peu compatibles (« Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne parvenais pas à l’abandonner, à mettre fin à notre relation, à me lancer dans l’inconnu, à m’assumer. De son côté, elle ne supportait ni ma présence ni mes absences. »)
Séverine Radoux