Gil BARTHOLEYNS, Le hantement du monde. Zoonoses et pathocène, Dehors, 2021, 120 p., 13 €, ISBN : 978-2-3675-1028-6
Les photos qui introduisent le livre donnent un ton très clair : percée d’une voie ferroviaire en pleine forêt, engin pulvérisant de l’astrazine sur un champ, parcs à bestiaux pour abattoir, élevage fermé de poulets et une ahurissante colline de crânes et d’ossements de bisons. Le hantement du monde est celui des milliards de cadavres de vies animales que nous laissons derrière nous, tâche que nous poursuivons sans intermittence aux fondements de notre vie quotidienne.
Rapidement, de virus, prions et zoonoses à nausées, le dégoût d’une répugnante évidence pénètre l’esprit du lecteur, en même temps heureux de trouver ici les mots et l’énoncé de ce qui nous arrive aujourd’hui dans un interminable désordre. Le COVID-19 et ses variants ne sont qu’un chapitre de plus à deux siècles d’histoire écrite au présent par Gil Bartholeyns, nous suggérant dès lors le terme de « pathocène » pour décrire le monde d’une ère malade de nous, êtres humains.
Des pandémies aux super incendies, le dénominateur commun du hantement est l’effraction continue des habitats et le brassage brutal des espèces. En traitant les non-humains comme des choses et les territoires comme des ressources, nous avons créé les conditions de notre propre fin. Alors comment sortir d’une très longue histoire ?
Face aux faillites des États et de la mondialisation des élites, aucune alternative ne vient cependant enrayer les capitalisme et libéralisme outranciers. Au contraire, du texte s’extrait le sentiment d’une étonnante et perdurante apathie et solastalgie générales face à la violente opiniâtreté des plus riches et puissants, prétendant résoudre les problèmes avec ce qui les a générés : la rentabilité et la perpétuité des ressources. Jamais ceci ne sera remis en question à hauteur des pouvoirs en place. Cela reviendrait à interroger leurs propres statuts et privilèges. Nous sommes, à l’échelle planétaire, dans l’allégorie du pompier pyromane.
Beaucoup songent aux barrages à dresser contre le faux réenchantement du monde orchestré par les magnats qui mettront tout en œuvre pour que l’état d’exception pour tous soit un état d’exonération pour eux.
De sorte que la population, largement informée, se fait de moins en moins d’illusions et semble contempler – peut-être souhaiter – sa mort sociétale comme chacun prend conscience de sa propre mort, une fatalité contre laquelle il est à ce stade inutile, l’humain étant l’humain, de s’illusionner encore et donc de même réagir. Alea jacta est pendant que d’autres travaillent comme des fous-sorciers à l’immortalité non des espèces mais de leur personne.
Même si l’on échafaude des plans de sauvetage climatique contre les coupes forestières ou la désertification, et si les dangers environnementaux des projets proprement pharaoniques sont connus, la finalité des entreprises est de mettre partout la nature au travail.
Fort de ce constat après cinq chapitres de démonstrations souvent répétées, l’auteur en ajoute un sixième, plus personnel, plus sensible et qui dénote franchement ; comme si le ton universitaire ne suffisait plus, avait fait son temps et sa participation à l’échec global. Gil Bartholeyns s’exprime alors sous le vocable de terrestriel pour dire son sentiment d’être partie vivante d’un tout, c’est-à-dire La Terre [qui] n’est pas un vaisseau que l’homme peut administrer et conduire à sa guise. Elle n’est pas ce « berceau de l’humanité ». Soit une lecture anthropocentrique, vétuste et surtout suicidaire de notre bien commun le plus précieux : notre habitat.
Tito Dupret