Neuf infusions de phrases

Timotéo SERGOÏ, Nuit. Bruit. Fruit., Cactus inébranlable, 2021, 86 p., 10 €, ISBN : 978-2-39049-033-3

sergoi nuit bruit fruit— Bonjour, jeune homme, quelle jolie terrasse vous avez ici !

— Merci madame. Je vous en prie, installez-vous. Permettez-moi de vous confier le menu.

— Merci. Nuit. Bruit. Fruit. Joli nom d’établissement… Quelle sont vos spécialités ?

— Neuf infusions de phrases selon neuf recettes locales, madame. Chaque infusion est un chapitre au menu et se compose d’ingrédients poétiques ayant la forme d’aphorismes ou de jeux avec les mots et les pensées. C’est souvent ludique et vous en apprécierez chaque gorgée car chacune a son propre parfum selon ses propres épices.

— FoOormidable ! Dites-moi tout pour m’aider à choisir, voulez-vous ?

— Certainement. La première offre est plutôt philosophique et s’illustre par Le poids de l’aile c’est son ombre.

— Mmmm… oui, je vois et je lis parmi les ingrédients : L’univers, catastrophe tranquille et lumineuse, couvre l’humanité, chatoyant bordel cannibale. C’est exaltant ! Mais n’est-ce pas un peu beaucoup pour un début ?

— Je comprends, madame. La deuxième recette est de révolte, sous ce titre : Le capital est une maladie que tu vas attraper par les bourses.

— Euh… rien de plus léger, vraiment ? Attendez, je regarde… Nous sommes les échelons de chair sur la chaude cheminée de l’usine à plastique. Cela reste très carnassier pour l’instant, non ?

— Alors, puis-je vous inviter à considérer ce troisième mélange pour exprimer l’amour selon ce joli trait : C’est le cœur qui parle, madame. Il a la même voix que le soleil.

— Dis avec vos lèvres, c’est une tasse que je porterais bien aux miennes ! Voyons cela… – Que veux-tu de moi ? – Cent grammes de chair, dix kilos de fruits / Et un soir de soleil sous un parapluie. Oh ! de la chair encore ? Ensuite, monsieur ?

— Au point quatre, nous vous invitons à verser dans la beauté qui n’est pas ce perroquet bavard et écarlate, elle est cette poule patiente qui chaque jour nous pond un œil de verre.

— Houlattention ! les bornes ont leurs limites, n’est-ce pas ? Je ne suis pas votre poule !

— J’en ai la chair, madame. Cet ingrédient vous plaira peut-être : La perruche colorée mâche le papillon majestueux. La beauté est-elle une proie ? Elle est un ogre.

— … toujours plus carnassier…

— Sinon, permettez-moi de vous inviter en recette cinq, à une partie d’humour : Pourquoi les perses oreilles ? Parce que les oiseaux mouchent !

— Oui, bonne idée, passons cela en revue… C’est du pâté, n’en parlons plus… De la carne encore…

— Dans ce cas, la sixième recette figure le voyage. Votre guide, Timotéo Sergoï, le professe : Je voyagerai jusqu’à maintenant.

— Mais c’est absurde, non ?

— Et même le prouve-t-il, madame : C’est une catachristophe, colon !

— Mouais… une histoire de c… Continuez, jeune homme.

— La septième recette est d’ordre poétique : Tu es poète, signeur d’alarmes, étrange mélange d’ange et d’arme.

— Ah, voilà qui me semble plus fin. Qu’en dit encore l’auteur ?

— Ceci : Une maison de la poésie vide. Vide ? La maison ou la poésie ?

— Mais je suis venue pour une pleine tasse ! C’est un comble !

— Comme vous avez raison, madame. Que diriez-vous dès lors de cette huitième coupe, plus terrestre car son frontispice dit que L’arbre est en feu. Comment écris-tu « ailes » ?

— Ah oui, j’aime ! On y trouve ceci d’ailleurs : Regarde : c’est le soupir des arbres qui portera nos ailes. C’est si joliment dit !

— Dans ce cas, retenons cette formule et il ne vous reste plus qu’à considérer la neuvième infusion qui se tourne vers l’avenir puisque La fin des rails n’est pas l’horizon c’est la rouille.

— Et j’y lis encore ceci : Vitement les lentement qui chantent !

— Dans ce cas, que puis-je vous servir, madame ?

— Décidément, chaque tasse de phrases est pleine de verve et ne tarit. Comment choisir ?

— Entre verveine et otarie ?

Tito Dupret