François EMMANUEL et Marc DESGRANCHAMPS, Petit frère, Chemin de fer, 2021, 64 p., 14 €, ISBN : 9782490356256
L’on sait François Emmanuel fin observateur des relations humaines ; qu’il s’agisse d’un couple ou d’une famille complète, il sonde les âmes et nous en rend compte avec une infinie subtilité. Ses personnages interagissent vivement avec le monde qui les entoure, en ressentent les contradictions, mettent à l’épreuve les limites des lois des hommes, de leur morale, et cette sensibilité les rapproche inexorablement de leurs semblables en proie aux tourments.
Ici, il met en scène les semaines qui suivent l’assassinat de Pierrot, le grand frère de Yann et père de la jeune Loum qu’il laisse dépourvus. Ne leur avait-il pas donné des signes de ce qu’il se savait en grand danger, ne s’est-il pas offert aux balles qui ont criblé son corps ? Dans une lettre d’adieu que les policiers ont trouvée dans sa poche, il charge Yann de prendre soin de sa fille. Cette demande contraint le Petit frère à plonger dans les affaires de son aîné, à s’intéresser aux choses qu’il préférait ignorer. Il est question d’une somme importante abandonnée dans un sac destiné à Loum, mais aussi de menaces qui se déplacent désormais sur la famille. Des activités louches dans lesquelles il trempait, ses proches ne savaient rien. Jouant de son statut d’aîné, il soignait son image d’homme intouchable, disparaissait sans crier gare, puis revenait, et, surtout, il se taisait. À devoir assumer sa demande, Yann est précipité dans son sillage et il ne peut échapper aux questions qui entourent le mystère entretenu. Aussi le cadet décide-t-il de partir à la recherche des réponses, en marge de l’enquête policière. Cette quête l’amène à rencontrer des personnes dont il ignore tout, à découvrir les règles d’un jeu qui n’était pas le sien et, surtout à mesurer que le silence de Pierrot avait un sens. Et même s’il ne fait qu’effleurer un univers qui lui est totalement étranger, cette immersion brève lui suffit à comprendre ce qui séparait cet homme fuyant de sa famille. En arrière-fond, le personnage de la maman, dans sa constante déconnexion de la réalité, apporte une touche complémentaire dans les facteurs de non-communication. Ce constat n’enlève cependant rien à l’affection profonde qui les unit tous mais renvoie chacun à sa propre solitude.
Avec les illustrations de Marc Desgranchamps qui en traduisent bien l’ambiance, ce très bref récit irradie une intensité rare. En quelques dizaines de pages, l’auteur nous immerge dans le mystère d’une famille. Sans ressentir le besoin de tout nous dire, il va à l’essentiel par touches impressionnistes, avec une grande pudeur qui n’évacue cependant pas le désarroi et les questions poignantes. Les dialogues, réduits au strict minimum, sont d’une grande justesse. Et surtout, il nous dit avec une élégante sobriété la force des liens qui se nouent au sein des fratries, et qui survivent le plus souvent aux aléas de la vie.
Thierry Detienne