Christine AVENTIN, Scalp, Arbre à paroles, coll. « If », 2021, 110 p., 14 €, ISBN : 978-2-87406-750-1
En avril dernier, Christine Aventin sortait FeminiSpunk chez Zones, une réflexion anti-conformiste sur le potentiel révolutionnaire des filles. Ce livre a occupé l’autrice pendant trois ans. Trois années durant lesquelles il n’y a pourtant pas eu que l’écriture. Non. Or pas de place dans l’essai pour dire « la débandade politique sur la ZAD où [elle] vivait », l’otite qui tourne mal au point de vivre « le coma, la douleur, l’aphasie », le crâne trépané, mais aussi « les deux ruptures amoureuses simultanées ». Non. Pas de place dans FéminiSpunk, livre de force et de puissance.
Ce n’est qu’une fois l’ouvrage terminé qu’autre chose a surgi. Par flashs. Et autant de poèmes réunis dans un recueil organisé en cinq chapitres. Scalp. Ou la face obscure de FeminiSpunk. Celle où il est question de la solitude des filles. Celle de Christine Aventin, du moins, qui tente, là, de retracer « la tragédie œdipienne qui a été la [sienne] pendant ces 3 années. Où Œdipe est à comprendre dans le sens d’enquête d’un crime, d’un délit ». Et de se rendre compte qu’elle est à la fois la victime, la coupable et le mobile du crime.
De la guérison comme lieu d’exil
je cherche dans les chiffres
de mon dossier médical
fascinant comme un oracle
une langue hospitalière
où déposer mon amnésie
des jours et des nuits
dont il ne reste rien
que quelques coups de flash
embrouillés par les limbes
douloureuses de la fièvre
et le récit confus des témoins
Comme l’Œdipe de Sophocle
je suis tout à la fois
le mobile et le coupable
la victime et le poète
de cette enquête que je mène
tragiquement jusqu’à moi
Scalp, « qui lui a pété à la gueule comme un élastique trop tendu » et qui s’avère être la première entrée en poésie d’Aventin.
Première entrée réjouissante pour l’autrice qui arrive à transmuter son dossier médical en une forme qui a jusqu’à quelque chose de l’épopée :
Patiente de sexe
féminin âgée de
quarante-sept ans
amenée aux urgences
par une amie
suite à une OMA
(otite moyenne aiguë)
avec douleurs insomniantes
non traitées –
n’a pas consulté.
patiente en position
chien de fusil
présentant céphalées
intenses et AEG
(altération de l’état général)
vomissements
photophobie
état prostré
Notez votre douleur
sur une échelle
de un à dix
demande l’urgentiste
et je réponds quatre
d’après le tableau
que j’ai là sous les yeux
formidable aptitude
à nier la catastrophe
en laissant une marge
chiffrable pour un pire
qui ne saurait tarder.
Première entrée disions-nous.
Dernière ?
Dans FéminiSpunk, l’autrice confiait son souhait d’arrêter l’écriture : « […] je pense que ce livre sera mon dernier. Si je le note ici, c’est pour m’en souvenir. » Elle confiait, d’ailleurs, dans la rencontre organisée par la Foire du livre, le 18 mai dernier, avec Lola Lafon et David Courrier en modérateur : « pour moi, l’écriture c’est la merde (…), j’avais réellement décidé que FéminiSpunk c’était le point final ».
Puis il y a eu Scalp. Et de se demander, alors, si elle ne serait pas accro à l’écriture autant qu’à la caféine et la nicotine « mais ce serait vraiment la merde parce que j’ai vraiment envie d’arrêter ». « J’ai fait le tour de Christine Aventin, c’est bon, je passe à autre chose… ».
Quand on sait que Scalp est aussi ce « terme médical qui désigne le cuir chevelu et les muscles sous-jacents », on espère qu’autre chose surgisse encore de l’écriture de Christine Aventin. Qu’elle poursuive l’enquête ici entamée.
Qu’elle continue de faire jaillir le latent. Le caché. Tout ce qui apparait sous les premières couches ou quand on descend dans les caves.
Amélie Dewez