Dans la rue des solitudes…

Philippe LEUCKX, Prendre mot, Dancot-Pinchart, 2021, 13 €, ISBN : 9-782960-279603

leuckx prendre motLe dernier recueil du poète hennuyer Philippe Leuckx paraît chez Dancot-Pinchart, une nouvelle enseigne, créée par Pierre Dancot et Nicolas Pinchart. Leur maison est, nous dit la quatrième de couverture,  « née des terres noires du romantisme et de la liberté folle du surréalisme ». Elle fait la part belle  « à l’écriture spontanée à l’épiderme chaude, révoltée et amoureuse. »

Philippe Leuckx y « prend mot » dans un texte où « solitude » revient avec une obsédante régularité, rythmant de tout ce qu’il contient de détresse, d’interrogation et de gravité cet ensemble émouvant de textes courts, justes et sensibles. La lumière sera pourtant au bout du cheminement du poète qui retrouvera dans l’évocation de l’enfance et dans l’écriture la force  grâce à laquelle le cœur poursuit sa course/ au dos même du poème.

Écrire à propos de poésie, c’est, comme devant un tableau abstrait, parler à travers soi de l’émotion ressentie, dire les sensations survenues à la lecture de telle ou telle combinaison de mots et des sonorités dont l’enchaînement nous enchante ou nous émeut. Il y a dans ce recueil de la souffrance. Dans les rues provisoires/ de notre souffrance, par laquelle le poète  achève le livre, avec tant de murmures de passages. Leuckx interroge la mélancolie qui submerge sa rêverie: Je propose à chacun de venir voir battre le soir/ au bord de la lumière/ un reste de chagrin épuise la paupière/ comme larme de sel. Est-ce là, dans la détresse (un parfum qui borde les arbres) qu’il faut rechercher la matière du poème et entamer le périple étrange, celui par lequel les ombres ont gagné leur part de nuit et le travail commence dans la forge du silence ?

Au fil des pages, émerge l’âme d’un enfant, mais ce sera des décombres de la guerre qu’elle s’envolera vers le ciel déboussolé.

Nous ne savons quand ces vers ont été écrits. Sans doute la pandémie et l’isolement n’ont pas été absents de l’inspiration de ces textes courts et vifs, comme autant de fulgurances d’un cœur inquiet. Leuckx aspire à maîtriser ces quelques mots/pour la dire/au plus juste du cœur, « la » dire, c’est de la vie qu’il parle. La sienne vue d’un balcon qui donne aussi sur des jardins/et la paume des arbres. Mais la solitude revient, et assaille l’âme du poète : dans la rue des solitudes/quelque passant borde le jour.

C’est un recueil empreint de doute, celui-là qui tenaille la main de l’écrivain lorsqu’il s’enjoint de se déprendre des certitudes/faire de soi/un chemin/de doute. La page est hantée aussi par la prépondérance du mot, de l’écriture. Au détriment de la vie ? La vie propose déborde/prend place et tu restes là/au milieu d’une rue/ à caresser l’air d’une épaule/distraite/et la vie passe ainsi/en poème. Est-ce effet de solitude, celle qui incise le cœur/comme gel, ou y a-t-il quelque lumière encore à déceler dans l’agencement des mots, une faille dans laquelle avancer encore la plume, graver le papier alors qu’écrire semble leurre ?

Au fil des pages, la solitude, la mélancolie, la détresse envahissent le jour gris/deuil exil confinement. La lumière revient pourtant en ces sombres instants. Il suffit nous semble-t-il que le poète évoque la Faiblesse fable d’un enfant/main douce accourue/pour le porter bien haut/ quand un peu de souffrance/altère la joie au visage.

Voici un recueil dont le titre Prendre mot nous invite à traverser l’hiver en déployant, comme le fait avec tant d’émotion Philippe Leuckx, (…) le long ruban/des mots qu’il faudrait dire.  En effet, le cœur poursuit sa course/ au dos même du poème.

Jean Jauniaux