Vincent DELANNOY, James Ensor à Bruxelles, Samsa, 2021, 146 p., 19 €, ISBN : 978-2875933102
Mettre en lumière les rapports qui se sont tissés entre James Ensor (1860-1949) et Bruxelles, alors qu’on ancre volontiers le peintre à Ostende, c’est le propos du livre de Vincent Delannoy James Ensor à Bruxelles.
Orienté tout jeune vers la peinture par son père (ce qu’il gardera toujours par devers lui, professant une fois pour toutes qu’il ne doit rien à personne), formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, s’il travaille avec ardeur dans son atelier d’Ostende, c’est dans la capitale qu’il noue des contacts déterminants pour sa carrière artistique.
Rencontres décisives : le poète et critique d’art Théo Hannon, directeur de la revue L’artiste, incarnation de l’avant-garde. La famille Rousseau, très présente dans le monde artistique et littéraire, par laquelle il connaît des personnalités qui le soutiendront avec une chaleureuse conviction, tels Edmond Picard, Félicien Rops et Eugène Demolder, son plus fidèle allié, qui signera la première monographie de l’artiste.
C’est à Bruxelles que se déroulent sa première exposition solo en 1891, et, l’an 1929, la plus vaste rétrospective qui lui ait été consacrée.
Le jeune Ensor devient membre du cercle L’essor, dont le Salon, pour sa sixième édition, accueille sept de ses toiles. La revue L’art moderne, qui compte parmi ses fondateurs Edmond Picard et Octave Maus, salue l’originalité de l’artiste.
De l’année 1882 date La mangeuse d’huîtres, à ses yeux une de ses meilleures œuvres.
Il l’envoie au Salon d’Anvers, mais le jury refuse de l’exposer. Déception plus cuisante encore, L’essor exclut le tableau de son septième Salon. Le peintre éprouve de l’amertume devant des refus qui se poursuivent, notamment au Cercle artistique et littéraire de Bruxelles.
Emile Verhaeren se porte à la défense des « vigoureuses et audacieuses toiles de ce jeune artiste dont tous ceux qui n’ont pas l’œil bouché par les préjugés et de parti pris apprécient l’étoffe et le talent ».
Plus tard acquise par un couple ami, les Lambotte, La mangeuse d’huîtres rayonne aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts d’Anvers.
À l’automne 1883, une nouvelle association artistique voit le jour, à partir d’une dissidence de L’essor : les XX. Axé sur l’indépendance de chaque membre, affranchi du jugement des jurys de l’art, le groupe se veut sans président, sans jury, mais avec un secrétaire, Octave Maus, qui se révèlera un organisateur hors pair.
Parmi les premiers vingtistes figurent Fernand Khnopff, Guillaume Vogels, James Ensor, Théo Van Rysselberghe…
Actif de 1884 à 1893, le cercle des XX exposera non seulement des œuvres de ses membres mais aussi de Monet, Cézanne, Toulouse-Lautrec…
Le Salon de Kunst van Heden (L’art contemporain) devient son nouveau port d’attache, à Anvers où habite son amie et fougueuse admiratrice, la critique d’art Emma Lambotte. Une autre amie est très présente dans sa vie : Augusta Boogaerts, qu’il appelle « la sirène ».
Le temps s’avançant, Ensor semble avoir perdu le feu sacré, la fièvre créatrice qui le portait. Lui-même, sans doute, le perçoit.
Désormais, il se concentre sur la promotion de son art et poursuit un objectif précis : l’acquisition d’un de ses tableaux par un musée. Signe de consécration, promesse de longévité.
Ses démarches aboutiront. L’État belge achètera en 1895 un premier tableau, Le lampiste, qui prend place au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles.
Vers 1908, il se livre à des variantes d’anciennes toiles. Plus tard, il s’adonne à une moisson de copies.
Vient l’époque des honneurs, où s’inscrit l’impressionnante rétrospective de 1929. Élu membre de la Libre Académie de Belgique, fondée en 1902 par Edmond Picard, anobli par le roi Albert, qui lui octroie le titre de baron, il est proclamé en 1934 « prince des peintres » lors d’une cérémonie à Bruxelles.
À dire vrai, le personnage n’est pas très attachant. Caractère ombrageux, prompt au ressentiment, sinon à la vindicte. S’estimant incompris, lésé. Intransigeant en amitié, voire intolérant.
L’image qu’il cultive d’un artiste parfaitement original dans son isolement ostendais est un mythe. En réalité, il est « très bien informé et se nourrit de nombreuses influences : livres, revues, expositions, etc. […] C’est même l’ouverture d’Ensor aux influences qui contribue à ses meilleurs tableaux. »
Grandeur et travers d’un personnage et d’un artiste irréductibles.
Francine Ghysen