Archives par étiquette : esthétique

La mémoire orageuse de James Ensor

Vincent DELANNOY, James Ensor à Bruxelles, Samsa, 2021, 146 p., 19 €, ISBN : 978-2875933102

delannoy james ensor a bruxellesMettre en lumière les rapports qui se sont tissés entre James Ensor (1860-1949) et Bruxelles, alors qu’on ancre volontiers le peintre à Ostende, c’est le propos du livre de Vincent Delannoy James Ensor à Bruxelles.

Orienté tout jeune vers la peinture par son père (ce qu’il gardera toujours par devers lui, professant une fois pour toutes qu’il ne doit rien à personne), formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, s’il travaille avec ardeur dans son atelier d’Ostende, c’est dans la capitale qu’il noue des contacts déterminants pour sa carrière artistique. Continuer la lecture

Régime de l’art et motif de la condensation

Kim LEROY, La condensation. Économie symbolique et sémiotique fondamentale, Lettre volée, 2019, 192 p., 21 €, ISBN : 978-2-87317-522-1

Enseignant la philosophie de l’art et la sémiologie des médias à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et à l’école d’ARTS à Mons, Kim Leroy élabore dans l’essai La condensation une approche des arts plastiques, de l’esthétique en général à partir du concept de « condensation ». Partant de l’emploi du terme « condensation » par Matisse dans ses Écrits et propos sur l’art (« Je veux arriver à cet état de condensation des sensations qui fait le tableau »), Kim Leroy élit cette notion afin de définir un enjeu majeur de la pensée de l’art : la question du passage de la réalité sensible, physique de l’œuvre à sa réalité psychique. Continuer la lecture

André Delvaux

Le cinéaste dans la cité. Les notes d’André Delvaux, dir. Jean MEURICE, CEP, 2018, 251 p., 18 €, ISBN : 978-2390070214

Le cinéaste dans la citéEn 1965, le film L’Homme au crâne rasé qu’André Delvaux adapte du roman de Johan Daisne marqua l’avènement du cinéma belge moderne. Non que le septième art belge fût totalement inexistant. Mais André Delvaux invente un nouveau souffle qui, dans nombre de ses films, relèvera de ce qu’on a appelé le réalisme magique. Venu du monde de la musique, de la littérature, pianiste qui accompagna durant des années les films muets à la Cinémathèque royale de Belgique, à cheval sur les cultures néerlandophone et francophone, l’auteur de Rendez-vous à Bray, Benvenuta, L’Œuvre au noir pose les premières pierres de la modernité du cinéma belge, frayant une aventure artistique pionnière dont bien des réalisateurs actuels sont les héritiers. Recueil d’inédits, de textes rassemblés par Catherine Delvaux, Richard Miller, comportant des correspondances avec Jacques Sojcher, Philippe Reynaert, une étude de Roger Lallemand sur Benvenuta, un avant-dire de Raoul Servais, Le cinéaste dans la cité nous plonge pour notre plus grand bonheur dans le laboratoire de celui qui fut à la fois cinéaste, pédagogue (il fut l’un des fondateurs de l’INSAS), musicien.

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Regard sur Jeff Koons

Laurent DE SUTTER, Pornographie du contemporain. Made in Heaven de Jeff Koons, La Lettre volée, coll. « Palimpsestes », 2018, 64 p., 14 €, ISBN : 978-2-87317-516-0

L’indignation qu’a suscitée l’installation Made in Heaven en 1991, plus récemment Les Tulipes, les ires et condamnations que soulèvent les œuvres de Jeff Koons dans le monde des critiques d’art (mercantilisme, opportunisme, infantilisme, mauvais goût…), Laurent de Sutter les ausculte, les dissèque au fil de Pornographie du contemporain. Made in Heaven de Jeff Koons, un essai audacieux, décapant, incisif qui part du symptôme Koons pour livrer les attendus d’une esthétique contemporaine. Un mot condense à ses yeux l’anathème dont Koons est victime : celui de kitsch dont il montre que Clement Greenberg en a fait le repoussoir du modernisme. Pour Greenberg, le kitsch est au modernisme ce que l’arrière-garde est à l’avant-garde. Le rejet du kitsch (vu comme vulgaire, académique, culture standardisée, démocratisation de l’art…) que partagent Greenberg et Harold Rosenberg s’appuie sur l’épineuse question de la définition de l’art, à savoir le partage entre un « art vrai, authentique » et la sphère du non-art. La division entre « grand art » et « art populaire », la visée essentialiste chargée de produire les canons esthétiques, les critères transcendants départageant l’art du non-art ont, depuis lors, été réfutées. Derrière la volonté d’exclure ce qui relève du kitsch, des stratégies de domination sont opérantes. Continuer la lecture

Comprendre de l’intérieur

Colette NYS-MAZURE, Quand tu aimes il faut partir. Sur « Maternité » de Modigliani, Invenit, 2016, 71 p.

nys-mazurePubliée par les éditions Invenit à Tourcoing, la collection « Ekphrasis » confie à des écrivains le soin de commenter en toute liberté un tableau remarquable. Colette Nys-Mazure, qui avait déjà signé en 2013 Valloton, le soleil ni la mort, consacre aujourd’hui un opuscule à Maternité de Modigliani : Quand tu aimes il faut partir. L’intérêt principal de ce livre, nous semble-t-il, est de poser implicitement plusieurs questions épineuses quant à l’approche littéraire de l’œuvre picturale, entre observation visuelle, informations biographiques, rapprochements avec d’autres peintres, citations d’écrivains, intuition personnelle, interprétations téméraires. Maternité représente la compagne du peintre, Jeanne Hébuterne, tenant sur ses genoux – sans la retenir, précise l’essayiste – leur petite Giovanna. « Derrière la jeune fille qu’il a faite femme et mère, je déchiffre la figure tutélaire d’Eugénie », la mère de Jeanne ; « la tristesse suinte de cette œuvre » ; « j’emporte une image tout à la fois désolée et roborative » ; « « on ne nous aura pas. Je résiste, moi aussi » affirme Jeanne ». Aucune de ces assertions, notons-le, n’est vraie ni fausse : C. Nys-Mazure a fait résolument le choix de l’appréhension subjective en vue d’expliciter les significations profondes du tableau, qui pour elle sont principalement des significations affectives. Continuer la lecture