Au rythme d’un “coureur de rails” impénitent

Joël SCHUERMANS, Vers Sarajevo. Une errance ferroviaire, Partis pour, coll. « Errances », 2021, 190 p., 11 €, ISBN : 9782960200461

schuermans vers sarajevoAu long de Vers Sarajevo, Joël Schuermans nous entraîne dans une étonnante « errance ferroviaire », ainsi qu’il a sous-titré son livre.

Nous nous aventurons avec lui dans une exploration des Balkans, dont Sarajevo incarne « un point de mire, un col à atteindre, un cap à suivre, une destination à rêver ».

Ce « coureur de rails » invétéré, qui double son intense curiosité d’un souci exigeant de fidélité à ce qu’il voit, rencontre, observe, nous fait vivre les étapes, paysages, villes d’un voyage au long cours, haché d’interminables attentes d’un train, les retards d’horaires ne se comptant pas.

Le train n’est pas le mode de déplacement favori des Croates, qui lui préfèrent le bus pour son offre plus souple et diversifiée. « Là comme ailleurs, soupire l’auteur, on pense pratique. »

Au fil des pages s’enroulent les images, les impressions, les émotions.

Voici l’Adriatique, « où Split s’étale avec panache dans une douceur méditerranéenne ».

Dubrovnik, l’ancienne Ragusa fondée au 7e siècle, qui connut mille vicissitudes mais est toujours debout, « inébranlable », et dont il espère qu’après avoir résisté aux affres de l’Histoire, elle résistera aussi aux invasions touristiques…

Le Monténégro, « montagne noire » par référence aux sombres forêts qui couvraient ses montagnes omniprésentes, imposantes.

Paysages superbes, sauvages, qui ne laissent que des espaces modestes aux habitants, et que le visiteur se doit de mériter…

Et notre voyageur de conclure avec un sourire : « Le Monténégro est un pays où le temps s’étire comme une visite de famille dominicale. »

Bijelo Polje, dernière ville avant la frontière serbe, où la réceptionniste de l’unique hôtel ne l’accepte qu’avec défiance. Lieu inhospitalier, sur lequel pèsent l’ennui et la mélancolie d’un lent quotidien.

Hommage à Belgrade, « fascinante, mélange d’influences ottomanes, autrichiennes et slaves ». Belgrade, qui « vit, vibre, vieillit, grandit et se réinvente ».

Halte à Vinkovci, où les traces de la guerre sont encore visibles malgré une reconstruction impressionnante.

Escale, sur la rive du Danube, à Vukovar, surnommée le « Stalingrad croate », autrefois baroque mais détruite par les Serbes en 1991.

Enfin se profile à l’horizon le but de ce vagabondage ferroviaire : « Sarajevo la belle, ville multiple entre Orient et Occident, à la fois lumineuse et sombre, joyeuse et triste, pieuse et légère, traumatisée et pleine d’espoir ». On y perçoit d’emblée « cette sensation d’être dans un endroit hanté par la souffrance ».

Et l’errant de méditer : « L’Europe moderne et sa population ont tendance à oublier que la Paix est un privilège, une exception historique ».

C’est la fin du voyage, accompli avec ardeur, dont on comprend qu’il nous fait à son tour, nous transforme, et peut défaire des illusions, des préjugés, en nous confrontant au réel.

Son ton se fait parfois caustique : « Voir un endroit pour ce qu’il est est devenu bien moins important que de montrer aux autres qu’on l’a vu. On ne vit donc plus pour ce que nous faisons, mais pour ce que les autres n’ont pas fait. Sorte de course stérile vers l’abîme. »

Mais peut prendre la douceur d’une confidence : « écouter la mélodie du rail qui défile sous moi semblable au bruit d’un battement de cœur ».

Francine Ghysen