Une enfance dans le Quartier

Francesco PITTAU, Longtemps et des poussières, MaelstrÖm, 2021, 316 p., 18 €, ISBN : 9782875054029

pittau longtemps et des poussieres...Francesco Pittau se révèle écrivain aussi prolifique qu’homme discret. Parcourez la Toile, et vous constaterez que peu d’informations personnelles sont capturées dans ses fils. Bien entendu, vous trouverez l’essentiel – ses livres, ses albums, ses recueils – ; par contre, à peine quelques renseignements biographiques : une naissance en Sardaigne dans le milieu des années 1950, des études de Beaux-Arts à Mons, une collaboration intime avec Bernadette Gervais, un lieu de résidence dans la région bruxelloise. Cela pourrait être amplement suffisant… s’il n’y avait cette curiosité titillée lorsque l’on se plonge dans Longtemps et des poussières, roman qui semble posséder un ancrage autobiographique. Peut-être parce que le protagoniste est d’origine italienne (ce serait trop facile), que la narration se déroule dans une cité ouvrière à forte immigration du Sud (toujours peu concluant), que l’âge du héros correspondrait à celui de l’auteur à la même époque (oui, mais encore ?). Peut-être parce qu’il y a tellement d’humanité dans cette évocation de l’enfance que l’on se prend à croire qu’elle est tirée du matériau du vécu, du ressenti, du pulsatile. Mais l’on se fourvoie probablement ; et qu’importe au fond ?

Fin 1969, le père de Gio décroche un « travail, plus propre, moins harassant et mieux rémunéré ». Toute sa famille débarque alors dans le Quartier, près d’un terril. Dans cet endroit éloigné de la ville, « sombre, crasseux, sinistre comme un rhume en septembre », Gio découvre sa nouvelle maison, plutôt étriquée et humide, et croise le clan de ceux avec qui il grandira : Fanou, le Gros, Toni, Franck et Mario. Chacun des garçons montre une personnalité déjà bien affirmée. Dans la dynamique qui les lie, tous se provoquent autant qu’ils se respectent. Et les journées se passent à (faire semblant de) croire aux élucubrations des uns, à s’exciter devant les bagarres des autres, à se moquer des camarades ou à leur emboîter le pas dans leur découverte des contours de la/leur réalité. Mario devient vite le compagnon de prédilection de Gio, alors que beaucoup oppose les deux amis : le premier est frondeur, aventureux, impulsif, crâneur, généreux, dominateur et rêve d’ailleurs ; le second est plus peureux, réfléchi, obéissant, contenu, sensible et mène son chemin avec constance. Un duo qui oscille entre attraction complice et tensions rivales…

À travers différents épisodes de la vie du Quartier, le récit de Pittau se focalise sur une décennie et explore le passage de l’enfance à l’adolescence, avec son lot d’expérimentations, de désillusions, d’espoirs et de frustrations. Pour autant, ce n’est pas l’unique transition en marche dans Longtemps et des poussières : les grandes surfaces apparaissent et concurrencent les petites épiceries, les femmes décident de travailler et revendiquent leur liberté, les promoteurs immobiliers lorgnent sur le Quartier… Ces transformations sourdes et irrémédiables qui ne laisseront personne indemne, Pittau les esquisse avec la douceur et la poésie légère qui caractérisent son style. Des sourires se dessineront souvent à la lecture de ce roman qui se logera dans votre bibliothèque entre Le Petit Nicolas et Les Ritals.

Samia Hammami