L’implacable loi des générations

Jean-Marc DEFAYS, Deux fauteuils au balcon, Murmure des soirs, 2021, 127 p., 19 €, ISBN : 978-2-930657-74-5

defays deux fauteuils au balconLa famille a la cote en littérature ces derniers temps. Elle y apparaît souvent toxique, source de violences et de dysfonctionnements. Voici un récit qu’on imagine autobiographique, tout en douceur et en empathie, sur la présence offerte par un fils à sa mère devenue veuve. Un roman qui se déroule comme une petite musique de chambre.

Octogénaire, veuve, la mère du narrateur a quitté la maison familiale pour s’installer dans un appartement situé au septième étage d’un immeuble en ville. En bordure d’un fleuve, elle y a une vue qui est comme une consolation. À l’image du titre et des photographies en couverture qui sont en elles-mêmes tout un récit, le balcon où mère et fils s’installent régulièrement est devenu un phare sur l’existence, la leur et celle de ceux et celles qu’ils voient déambuler à leurs pieds.

Trois axes incarnent la vie qui continue à se dérouler sous les yeux de l’aïeule dont les frontières se sont réduites avec le temps. Il y a le fleuve, puissant, impassible, avec les mouvements de l’eau, le défilé des péniches, les vols d’oies et de canards. Il y a ensuite les quais avec les promeneurs et les joggeurs ignorants de la présence de la vieille dame en sa tour d’observation. Enfin, en arrière-plan, se détache le parc de la rive d’en face qui reflète le passage des saisons, en particulier sur les arbres. Parfois, ils font une promenade, pas trop loin, car le corps dicte désormais ses lois à la vieille dame. Ou le narrateur emmène sa mère à l’hôpital pour un rendez-vous médical en vue d’une opération qu’elle doit subir sous peu.

Ce duo intergénérationnel n’a plus grand-chose de neuf à se dire, mais partage une multitude de souvenirs. Ces deux-là se connaissent mieux que quiconque, ils se chamaillent doucement, ils rient aussi de certaines situations d’hier ou d’aujourd’hui. Elle s’amuse à exercer sur lui un reste d’autorité tendre, une forme de tyrannie douce derrière laquelle elle se dissimule et à laquelle il résiste pour la forme. Défilent ainsi des temps qui ne sont plus, mais qui les habitent intensément, ceux de leur jeunesse, du mari défunt, des vacances familiales. Vincent est amené à revoir son passé, à interroger sa propre histoire, ses origines sociales et ce qu’il est devenu. La perte d’autonomie de sa mère et la perspective de sa mort le projettent dans sa condition future, il perçoit qu’il devient son seul contact à mesure que le temps passe et qu’elle restreint ses sorties.

Jean-Marc Defays nous dit tout cela avec une pudeur qui épouse celle de ses personnages. L’humour est également de la partie, par exemple lorsque la dame envisage un voyage en Australie. Son livre se déroule de manière métronomique en de courts chapitres de même longueur, trois pages environ, qui apportent un rythme serein à notre lecture. Son phrasé ample et lisible renforce cette impression de fluidité. Le récit tout à la fois sobre et sensible est empreint d’un humanisme lucide qui embrasse les thématiques des relations mère-fils, de la vie et de sa finitude, épinglant des moments de bonheur et de tendresse tout à la fois fugaces et précieux. Sont ainsi évoquées la Daf rouge, la recette du matoufet, les crises d’angoisse, les « tournettes » avec les connaissances, les visites au colombarium, le baobab qui apporte un peu d’Afrique sur le balcon, les lacquemants de la foire de Liège, etc.

Deux fauteuils au balcon illustre parfaitement « L’implacable loi des générations : alors que les parents ont la profonde satisfaction de participer à l’essor de leurs enfants, ceux-ci devenus adultes ne peuvent rien faire d’autres que d’assister, impuissants, au déclin de leurs aînés, et éventuellement d’y consacrer un livre. »

Michel Torrekens