Didier VANDEN HEEDE, Meurtres en trois couplets, F Deville, coll. « Œuvres au noir », 2021, 340 p., 23 €, ISBN : 978-2-87599-048-8
Le dossier de presse annonce un « roman noir », un « policier haletant », un « scénario original » arcbouté à « un morceau de musique » et « à une partie d’échecs ». La couverture, superbe, happe le regard. Fonds noir et illustration subtilement colorée signée Loustal. Deux jazzmen, contrebasse et saxophone, jouent de nuit sous la lumière d’un réverbère urbain.
Une trame policière classique
Un inspecteur principal, Laurent Mathieu, examine une scène de crime du côté de Namur. Sinistre : la victime a été étouffée à l’aide d’un sac plastique, le meurtrier lui a découpé un « large sourire » qui semble faire écho au tube rock des Sixties ayant accompagné la mise à mort, Ha ! Ha ! Said the Clown du Manfred Mann’s Earth Band.
La narration de Meurtres en trois couplets s’avère fluide, l’écriture simple et aisée, teintée d’humour. Mais, au fil de l’enquête, l’action demeure en marge de la narration, les chapitres se situent avant ou après celle-ci, comme si Didier Vanden Heede délaissait le thriller pour se focaliser sur des aspects didactiques (les méthodes policières), psychologiques ou sociologiques. Il faudra attendre 75 pages pour voir se dessiner un fil narratif parallèle nous installant sur les traces ou plutôt dans les pensées du monstre. Un tueur en série est à l’œuvre. Qui, pourquoi, comment ? Et nos policiers de se lancer dans des investigations sur la famille, les proches, le voisinage. En quête d’indices, de mobiles…
Un récit émouvant sous les matriochkas
Les deux salves d’attentes du lecteur évoquées ci-dessus sont relativement déjouées, un bémol s’esquisse : le texte est peu littéraire, les dialogues sont trop longs, les décors (Namur, Dinant) survolés… Mais ce bémol est contrecarré, progressivement amenuisé sinon balayé : des ingrédients arriment le lecteur au récit dès l’entame du roman, symbolisés par une jeune stagiaire parachutée au côté de Laurent et de ses subalternes Jean et Barbara, une Léa pour le moins disruptive (un air de Lisbeth Salander, l’héroïne de Millénium, avec ce mélange de génie technique et de handicap social ?). Fille d’un conseiller d’État en charge des affaires policières, elle est l’objet de tous les soins du commissaire divisionnaire Didier Rimbaut et joue sans vergogne les bouledogues dans le jeu de quilles :
— Nous devons former une équipe, dit-il en l’invitant du geste.
— J’arrive, gros macho.
— Un peu de respect envers votre supérieur ne serait pas malvenu.
— Tu parles…
Loin de se limiter à l’apport d’une tonalité branchée ou populaire, la stagiaire (et sa connexion progressive avec une équipe ouverte, accueillante) apporte la dimension essentielle du livre, sa clé, sa réussite. À y regarder de près, la trame policière, au-delà de sa gouleyance, sert avant tout de véhicule à des enjeux, des questionnements humanistes et fondamentaux :
Il avait simplement perdu le goût de l’autre avec le temps qui passait. Depuis quelques jours, il sentait qu’une évolution positive était possible, le deuil arrivait à son terme (…) il ressentait le désir de transmettre un savoir, ce qui était quelque part semblable à celui d’éternité.
Des thématiques luxuriantes
L’enquête de nos quatre policiers les confronte aux pratiques échangistes, aux univers de l’adoption et des affaires, au quart-monde, etc. Comme dans les romans noirs de James Ellroy, le criminel et ses poursuivants ont bien des points communs. Didier Vanden Heede déploie la solitude et la souffrance, ses racines, reconstituant sobrement mais efficacement la trajectoire tragique de la mère du meurtrier, celle de ce dernier, tous les deux mal suivis, mal compris par des services sociaux débordés. Mais Laurent et Léa, eux aussi, ont survécu à des enfances traumatisantes. Le destin n’existe pas : chacun d’entre nous peut réagir et incurver sa route, les mêmes drames peuvent frapper à tous les échelons de la société, il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Conclusions
Meurtres en trois couplets s’avère in fine un récit apocalyptique : fin du monde pour les uns, rédemption/résurrection pour d’autres. Un récit pédagogique encore, où Didier Vanden Heede renvoie aux nécessités de la communication, de l’empathie, de la patience, de la transmission, de la rencontre (théorisée par Charles Pépin), de l’adéquation ou, par ricochet, à des questions élargies et cruciales, posées chaque jour dans les débats télévisés : assimilation et intégration, victimisation, affirmation assourdissante d’une « autre vérité », etc.
Philippe Remy-Wilkin