Olivier HECQUET, Les mots des morts, Ker, 2022, 142 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-87586-315-7
Les mots des morts a décroché le prix Polar de la Foire du livre de Bruxelles (ex-prix Fintro), une distinction accordée sur manuscrit à un premier roman. Une initiative heureuse, qui offre l’assurance d’une publication chez Ker, un éditeur de qualité. Ker ? On lui doit la belle collection Belgiques, des recueils de nouvelles qui ont révélé une graphiste décapante, Eva Myzeqari, à la baguette de la présente couverture. Un bel objet, donc, et un bon titre. On plonge !
Un « polar à l’ancienne »
Comme le sous-entend Michel Dufranne (spécialiste RTBF du genre policier et membre du jury du prix évoqué supra), le récit nous prend gentiment par la main pour nous introduire en pays de connaissance. Une scène de crime : la bibliothèque d’un riche notable, Octave Tiers, quarante-trois ans. Un double meurtre : un éditeur et son assistante, Victoria Garcia Borges, la trentaine, belle à damner une cohorte de saints. Un mystère qui distille quelques indices à creuser : la position fœtale, peu naturelle, de la plus jeune des victimes ; une balle tirée à bout portant, comme si cette dernière s’était suicidée après avoir tiré sur son patron, mais un révolver placé à deux mètres du corps, des ecchymoses sur celui-ci, une feuille de papier « sous l’épaule et la chevelure ». Un duo d’enquêteurs qui peine à s’emboîter : le commissaire Oscar Quethec traîne une blessure secrète qui lamine ses nuits et sa vie ; l’inspecteur Olivier Fauvilles est pétri de bonnes intentions mais trop lisse pour son supérieur. Quelques suspects : le fils de la concierge, au passé peu reluisant ; l’épouse de l’éditeur et l’amie qui l’accompagnait en voyage (et en alibi), etc.
Des lignes de force
Olivier Hecquet, dès l’entame du roman, manifeste une étonnante sobriété de narration et d’écriture. Loin des effets tapageurs propres à de nombreux premiers essais, il adopte un ton feutré, une écriture simple mais efficace, des dialogues soignés :
— Je préférerais parler d’autre chose, aujourd’hui. « Le bonheur dans le crime », ça signifie quoi pour vous ?
— Il serait plus intéressant de savoir ce que cela veut dire pour vous. C’est un titre de film ?
— C’est le titre d’un… texte de je ne sais plus qui. Une nouvelle ou un roman. Et un peintre namurois a utilisé cette formule comme titre d’un dessin. En tout cas, mes recherches ne cessent de ricocher sur ces mots.
— Disons que vous ne cessez de ricocher sur cette phrase.
— Ce n’est pas ce que j’ai dit ?
— Pas exactement. Et donc, que signifie cette phrase, pour vous ?
Le lecteur gourmet pourra regretter le mot, la phrase ou l’image qui enchante, le lecteur de thrillers la scène ou le rebondissement qui tend la narration, mais les pages défilent sans temps mort, la lecture progresse sans accroc. Et il y a un arrière-plan culturel, Le bonheur dans le crime (nouvelle de Barbey d’Aurevilly et peinture de Félicien Rops) se faufile dans l’enquête, la réflexion des deux policiers. Comme les décors de Bruxelles, le milieu de l’édition, les quartiers glauques hantés par des prostituées, des indicateurs…
Un faux paradoxe s’insinue. Le texte, dont la forme est peu littéraire, ne parle que de littérature. Milieu de l’édition, ses arcanes et ses pratiques, citations ou références, omniprésence, surtout, des livres ou des pages de manuscrits, à étudier, scruter en quête d’indices, de mobiles. Les mots des morts. « Les mots des morts » ?
Au-delà des mots et des morts
Le commissaire Quethec, au centre d’un ballet infernal de miroirs, peine à saisir son image dans une glace de salle de bain brisée ou dans ses consultations thérapeutiques, mais son enquête le confronte aux éditions… Psyché, il se découvre mis en scène dans un polar, mis en jeu ou en joue par ses propres investigations.
Olivier Hecquet, dans Les mots des morts, a filigrané l’essence de son livre : elle échappe aux rets du résumé ou de l’analyse policière, et renvoie à la strangulation identitaire d’un homme.
Philippe Remy-Wilkin
Agenda
- Le livre d’Olivier Hecquet est présenté le samedi 19 mars à 16h à la Galerie Bortier dans le cadre de la Semaine du livre. Rencontre avec Pascale Fonteneau (Présidente du Prix Polar 2022), Michel Claise (Président du Prix Polar 2023) et Olivier Hecquet animée par Michel Dufranne.
- Olivier Hecquet dédicacera son livre :
- A la Galerie Bortier le 19 mars après la rencontre
- Au Salon des littératures singulières (Ecuries royales) le 19 mars de 18h à 19h