Quand le riche sort de son ghetto

Vinciane MOESCHLER, Caraïbes amères, Muscadier, 2021, 191 p., 13,50 €, ISBN : 9791096935963

moeschler caraibes ameresCaraïbes amères est le deuxième roman pour la jeunesse de Vinciane Moeschler (après À corps parfait), qui nous fait découvrir ici le récit d’un voyage en République Dominicaine à travers le regard de Sacha, quinze ans. Après avoir obtenu un nouvel emploi de journaliste pour une durée de deux ans, le père de Sacha emménage avec femme, enfants et animaux de compagnie de l’autre côté de l’Atlantique avec l’idéal du touriste.

Arrivée sur place, la petite famille déchante : pannes d’électricité, colonies de cafards, chaleur étouffante, bruit, pollution et rues dévastées par le dernier cyclone sont désormais le lot de la vie quotidienne.

De son côté, Sacha est arrivé sur l’île paradisiaque avec les pieds de plomb. Quitter le bitume parisien et ses amis pour se retrouver seul en tête à tête avec sa mère n’était pas vraiment prévu au programme. Au début, c’est avec un certain manque d’entrain qu’il tente de se faire de nouveaux amis, mais très vite, il se rend compte que ses nouvelles relations sont mal vues par les expats. C’est qu’il sympathise avec le fils d’un concierge et une muchacha, entendez une bonne, ce qui est loin d’être conforme au clivage entre les riches et les pauvres.

Qu’à cela ne tienne, Sacha n’avait pas plus envie que ça d’être ami avec des gosses de riches racistes. Dans ce pays où tout lui semble violent, il décide de comprendre comment il fonctionne et de rédiger un reportage sur la vie au batey (« le village » en créole), où lui est dévoilée l’exploitation des mineurs dans l’industrie de la production du sucre. C’est l’électrochoc : dans les bidonvilles, il découvre les salaires de misère et les longues journées de labeur (des sans-papiers pour la plupart), mais aussi les accidents du travail, l’absence de matériel de soins, les menaces et la maltraitance des employeurs.

Dans Caraïbes amères, Vinciane Moeschler nous donne à lire avec un style simple le récit d’initiation d’un jeune homme issu d’une classe aisée qui découvre avec le regard naïf de son jeune âge la stigmatisation et l’exploitation des minorités.

Un enfant si petit avec un aussi gros ventre.
Pourquoi maman ?
Ses narines sont encombrées de morve, il n’arrête pas de me fixer. Ils dorment à sept dans la même chambre.
Pourquoi maman ?
Pas d’eau, pas d’électricité, une seule toilette, pas de jeux pour les enfants, pas de moustiquaires, pas d’école, pas de petits commerces. On devrait pouvoir leur construire de vraies maisons. Comme les nôtres.
Pourquoi c’est si sale partout ? Pourquoi être obligé de travailler dans les champs à 15 ans ? Pourquoi quitter son pays et ses parents ?
Pourquoi j’ai envie de pleurer maman ?

Face à la détresse d’une communauté, Sacha se sent d’abord coupable de ses origines et impuissant face à toute cette misère, mais cette expérience sera aussi l’occasion pour lui de changer son point de vue sur le monde et de savoir quel adulte il veut devenir.

Je l’avoue maintenant : je flippe de me retrouver seul. Et si je choppais la dengue ? Ou une solide gastro ? Le jus de canne d’hier, les moustiques de cette nuit, les puces du matelas, l’insalubrité des toilettes ? Je ne comprends pas le créole et Napoléon ne reviendra pas avant ce soir. Oui, je flippe. Et, en même temps, un extraordinaire souffle de liberté me chamboule. Je suis responsable de moi-même et c’est excitant. Je vais pouvoir défendre un projet important, parler de Jean pour qu’on connaisse sa vie, sa vie tragique et injuste.

L’histoire appuie l’adage selon lequel les voyages forment la jeunesse et encourage avec bienveillance les jeunes à se frotter aux aspects un peu plus râpeux de l’existence…

Séverine Radoux

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