Une enquête ?

Un coup de cœur du Carnet

Jacques-Gérard LINZE, La fabulation, Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 2022, 158 p., 18 €, ISBN : 9782803200634

linze la fabulationAprès L’ornement des mois de Maurice des Ombiaux et L’herbe qui tremble de Paul Willems l’an dernier, c’est à un roman majeur de Jacques-Gérard Linze que l’Académie royale de langue et de littérature françaises offre une seconde vie. Préfacé par Ludovic Janvier, La fabulation, paru initialement en 1968 chez Gallimard, retrouve ici les mains, les yeux, le trouble du lecteur.

Que s’est-il vraiment passé lorsque Marian a quitté le bruit de la fête pour la paix du jardin ? Il avait emporté une carabine pour l’essayer sur le pas de tir situé en contrebas de la propriété. Il était seul. Était-il troublé par quelque révélation de la soirée ? Avait-il trop bu ? Qui pourra expliquer sa mort ? Son corps fut retrouvé en travers du sentier, l’arme à la main, le crâne perforé par une balle, dans une position qui permettait de conclure à un accident. Mais n’y a-t-il pas matière à croire à un suicide ? ou à un meurtre ? C’est ce que le narrateur va tenter de découvrir.

Personne d’autre que moi n’imagine qu’il y ait un mystère de la mort de Marian.

Mais c’est peut-être beaucoup dire. Le narrateur va s’employer à une manière fort personnelle d’enquête. Certes, huit ans après les faits, il va consacrer son temps et son énergie à reconstituer les détails du drame, il va s’entretenir avec les différents protagonistes, c’est-à-dire les personnes présentes cette nuit-là, dont l’existence dépendait plus ou moins de Marian. Il y a l’amant officiel de sa veuve, un type déplaisant. Il y a le jeune garçon qui servait d’amant de substitution à cette même veuve. Et, bien entendu, il y a la veuve, Hélène Marian, l’objet de toutes les convoitises, de toutes les attentions. Le narrateur va interroger ce petit monde, il raisonne, il trie les nuances et classe les faits, mais cherche-t-il vraiment la vérité ?

Voici maintenant ce que je crois pouvoir supposer…

Le narrateur ferait un enquêteur peu efficace. Il imagine la mort de Marian, il teste la sonorité de telle ou telle hypothèse, faisant tourner sept fois ses phrases dans sa bouche : il tourne autour du terme juste, de l’image parfaite, bien plus qu’il n’interroge les faits, et son entreprise ressemble bien plus à celle d’un écrivain qu’à celle d’un détective, fût-il amateur. Ses phrases sont longues et raffinées, comme en quête de perfection, ciselées et précises dans les doutes qu’elles expriment. Car La fabulation est un roman de doutes, de questions, un roman qui fait la part belle à ce qu’on ne sait pas, comme devrait le faire tout roman. Pourquoi Marian tolérait-il les infidélités de sa femme ? Jusqu’à quel point ? Que s’est-il passé au cours de cette étrange période où, libéré d’un camp de prisonniers, il était revenu incognito en ville mais pas encore rentré chez lui auprès de sa femme ? Qui avait intérêt à la mort de Marian ? Ces zones d’ombre laissent au narrateur le délice d’imaginer, sa grande affaire, et de sculpter minutieusement les mots pour le dire.

Au cœur du récit, il y a la belle veuve. Elle aime être désirée. Le narrateur se défend de songer à elle autrement qu’en sujet d’étude. Mais de cercle en cercle, il se rapproche dangereusement. La fabulation est un roman centripète, fascinant et fasciné, hypnotique.

Un personnage important de La fabulation est la ville de Liège, que Linze nomme L…, et dont le narrateur décrit avec gourmandise les venelles et les pignons, les couleurs et les murmures. La ville est dépliée devant nous, et c’est comme un apaisement pour le narrateur de pouvoir parler de quelque chose de stable et de solide, quand tout s’enfuit entre ses doigts, les faits, les caractères, les souvenirs.

Je constate tout à coup que je suis perdu au milieu de ce dossier dont j’accumule les éléments.

Nicolas Marchal

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