Jacques LACOMBLEZ, Blanc sommeil, avec dix dessins de Georges-Henri Morin, Quadri, Bruxelles, 2021, 36 p., 25 €
Figure majeure du groupe surréaliste « Phases » d’Edouard Jaguer en France, proche de Breton et des surréalistes parisiens dès les années 1950, créateur à Bruxelles de la revue Edda, Jacques Lacomblez a longtemps mené sa barque dans une semi-solitude mais pas sans amitiés, se tenant à bonnes encablures, en perspective éloignée (et souvent conflictuelle) du groupe surréaliste bruxellois de Tom Gutt. Autres temps, autres enjeux.
Aujourd’hui, Lacomblez (né à Ixelles en 1934) poursuit de manière régulière et toujours dans la relative discrétion qui est la sienne un travail d’écriture poétique, en alternance avec ses réalisations dessinées ou peintes.
Dans Blanc sommeil, son dernier recueil publié, on retrouve la langue volontiers abrupte, elliptique, celle d’un poète large d’épaules, en surplomb du monde, toujours à cheval sur les monts et les cimes (de l’imaginaire), et celle d’un fantassin de la précision lexicale, qui se (dé)place volontairement au niveau du sol le plus bas, le plus commun :
Nous vivons dans quelques braises d’ombre
Que jamais n’absorbe un or du levant
Cette confrontation devient alliance, là où l’on pourrait croire à une valse-hésitation de deux niveaux de langages distincts. Lacomblez se place toujours à hauteur du mot, qu’il embarque en quelques vers et peu de lignes, sans titre, sans apprêt, souvent sèchement délivrés, transformés parfois en aphorismes assertifs :
Les points cardinaux sont des phares de déroute
L’écriture se dessine alors en habit d’Arlequin, débarrassée de tous travers ou tics, et laisse apparaître un texte en constant suspens, où la communication vers l’autre passe d’abord par l’établissement d’un état des lieux du corps poétique. Portrait contrasté, nécessaire à son existence-même, formé d’injonctions
Libère les ruches de tes jambes
de constats qui oscillent entre espérance et amertume :
L’eau ne coule plus dans Babylone
Mais j’ai tes larmes heureuses pour ma soif
et la matière encore bouillonnante d’une vie qui n’entend pas laisser la moindre place à la confusion de la parole :
J’échange mon rêve le plus insensé
Contre une rivière parfois paresseuse
Et mon plus beau désespoir
Contre un vol de libellule
Serait-on si loin de la pierre philosophale chère à l’auteur ? Et si, a contrario, il la débusquait au plus près d’une fausse dispersion ? Si derrière toutes les théories, les pathos et les ruptures se révélait une plénitude des sens qui ne doit plus rien au quadrillage des discours usés et des tumultes extérieurs, aux divisions incessantes des imageries héroïques, à la fausse transparence d’une novlangue toujours plus creuse, plus vaine, et, en cette période, dangereuse plus que jamais ? Le poème serait alors ce
Refuge d’étoiles déchirées
Il s’accomplit en tremblement sonore, bruissement d’un souffle, fragilité d’un corps qui s’estompe, en acte parlé d’une mémoire toujours en éveil, marquée par une ossature ascétique mais surpassant les nuages des grandes pompes rhétoriques. Le raccourci devient ferveur, l’étincelle lance son feu ardent. À la cime de l’être se lève une violence rentrée, que du haut de son observatoire, Lacomblez trace en ombre chinoise. Les dessins en noir et blanc de George-Henri Morin – aiguisés comme certaines œuvres de Jorge Camacho ou d’Adrien Dax – accompagnent de leurs grands mouvements silencieux cette parole où toute liberté tend vers la nudité de l’autre, l’être fantasmée, celle qui, de la pointe de l’ile de Sein, emmène lecteur ou lectrice au grand large.
Alain Delaunois
Agenda
Jacques Lacomblez expose ses Voyages du retour, travaux récents jusqu’au 23 avril 2022
Galerie Quadri
avenue Reine Marie Henriette, 105
1190 Bruxelles
Vendredi & samedi de 14h à 18h ou sur rendez-vous
https://galeriequadri.com/
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