Patrizio FIORILLI, Au commencement, il y eut le mal, F Deville, 2022, 234 p., 20 €, ISBN : 978-2-87599-054-9
Au commencement… de la lecture, ou juste avant celle-ci, à la lisière d’un univers vierge, il y a l’étonnement. Devant des distorsions entre les première et quatrième de couverture. Mise en page tonique, illustration de Loustal et couleurs envoûtantes, mais aucun mot sur l’auteur Patrizio Fiorilli et faute d’accord dans le texte d’accroche. Croix dessinées en front d’ouvrage, Ponce Pilate et le Christ évoqués au dos du livre, mais un bandeau annonce une finale de prix polar (Foire du livre de Bruxelles 2021). Quid ? Un récit policier se faufilant dans un décor historique ? En l’occurrence dans la Jérusalem du Ier siècle, aux alentours de la Pâque juive, de la crucifixion de Jésus ?
Au commencement, il y eut le mal commence par la mort d’un homme, un Galiléen assez jeune, retrouvé pendu. Une exécution, un crime, un suicide ? L’atmosphère n’est pas au thriller mais à la flânerie, à mille lieues de la gravité suggérée par le titre voire les deux premières pages. Nous flânons en compagnie d’un richissime marchand grec, Phidias, nous partageons ses humeurs, la gestion avisée de sa carrière mais ses craintes aussi, ses relations originales avec son esclave nubien Khéto, son médecin Démétrios ou la jeune Néhésa. Il flâne et observe, se renseigne, s’inquiète. Devant une tension diffuse, une menace latente. Il y a ce mystérieux pendu mais l’arrestation d’un autre Galiléen encore, qui a provoqué la veille un scandale dans le Temple. Il y a aussi les manœuvres d’un rival commercial aux dents longues, la sensation que toute vie, à cet instant, en Palestine, est suspendue à un fil, entre divers équilibres, le préfet romain, le tétrarque juif Hérode, les grands-prêtres, les factions contrastées qui fracturent une société étouffée.
Une double flânerie. Car la flânerie du personnage principal renvoie à celle de l’auteur. Patrizio Fiorilli ne tend pas son récit à coups de rebondissements, d’actions, d’émotions fortes, il ne le déploie pas non plus selon les canons du roman historique. Non, s’écartant des normes et du sérieux accoudés aux genres littéraires précités, il nous livre une pochade feutrée, parfumée d’embruns romanesques, amarrée à une philosophie pragmatique des rapports humains, à une réflexion sur l’ambition, la réalisation :
(…) ne jamais leur donner le moindre prétexte, ne jamais provoquer le moindre agacement ou susciter le moindre soupçon. Se rendre utile, rendre des services, prêter de l’argent, offrir de l’or et des bijoux, partager des informations et des secrets, organiser des banquets (mais jamais rien de somptueux), sans jamais chercher à se mettre à l’avant de la scène, sans jamais parler trop fort.
Les partis pris de l’auteur n’ont de cesse de surprendre. Loin d’user d’un langage recréé, solennel ou neutre, il joue la carte d’un parler contemporain, souvent oral, relâché ou grossier. Le temps de s’y habituer, on suffoque devant la première intervention du centurion Septimus :
Phidias, espèce de voleur ! Je me disait bien que ça fesait un bout de tant qu’on n’avais plus aperçu ta sale gueule chez nous !
Un déluge de coquilles nous explose au visage au fil des interventions d’un soldat engoncé dans la rusticité, la brutalité. Un choix délibéré de l’auteur, mais délicat. D’autres audaces suivront, que nous ne déflorerons pas. Cet auteur ose. Jusqu’à malmener la version offerte par les évangiles canoniques. Jésus est-il mort sur la croix ? Est-il ressuscité ? Qu’ont fomenté Judas, Pierre ou Marie-Madeleine après la dernière cène ?
Si la lecture d’Au commencement, il y eut le mal est déconcertante, elle est aisée, souvent amusante ou touchante. Et Patrizio Fiorilli, s’il évacue toute prétention par la porte, entrouvre une série de fenêtres et d’appétits. Jusqu’à nous inviter à découvrir plus avant des sillons d’information détonants.
Philippe Remy-Wilkin