Des mots qui déjouent

Marc DUGARDIN, Antoine DUGARDIN, Psaume, passant, Chat polaire, 2022, 82 p., 12 €, ISBN : 978-2-931028-19-3

dugardin psaume passant 2Marc Dugardin, avec la complicité de son fils à la photographie – Antoine Dugardin – ouvre une fenêtre sur l’activité d’écriture par l’intermédiaire d’un Psaume, passant publié aux éditions du Chat polaire. Ouvrage étrange qui se veut prière, Psaume, passant ne s’adresse pourtant à aucun dieu, comme un appel lancé dans un vide métaphysique. Empruntant sa mélodie à la poésie et la narration d’un « je » vivant, pensant, écrivant au genre du récit, Marc Dugardin permet ici « l’irruption du monde dans le corps du texte ».

L’irruption du monde est symbolisée par le regard porté sur un homme à sa fenêtre, du moins par son absence inhabituelle, qui permet d’invoquer la disparition, la mort, le souvenir. De même que l’écriture, éclosion matinale, s’impose au poète au début du recueil (« Matin en alarme. Poussée de mots, dictée si l’on pouvait, simplement, s’y abandonner »), le monde s’invitant dans le texte contribue à donner du poète une vision particulièrement passive (« Je ne joue pas avec les mots. Ce sont les mots qui me déjouent ».). Individu pris au piège entre le dedans (l’écriture et les souvenirs affleurant) et le dehors, le poète ne se conçoit pas poète, mais plutôt main écrivant, scribe :

Et ce matin, je suis scribe. C’est aussi simple que cela : ma main fait le geste d’écrire. Au passage elle s’étonne, frémit, en transcrivant le mot âme, recueilli dans le rêve.

Que la main s’étonne de ce qu’elle écrit nous permet surtout de pointer la dimension éminemment réflexive du Psaume, passant de Marc Dugardin. En même temps qu’images et pensées se déploient sur la page, le poète s’interroge énormément sur la nature du texte en germe, sur la validité de ses dires, sur son être au monde :

Suis-je né pour venir habiter dans un livre ? Un livre où la langue s’est faite chair. Un livre-corps, un corps-livre, une langue qui palpite à la moindre terreur, à la moindre joie. 

Et peut-être même pas un livre, mais seulement un poème, ou un vers, un vers-coquelicot. L’inouï que c’est, un vers qui vous crève les yeux. 

Mais je parle, je parle, je parle trop.

Ces retours incessants à l’activité d’écriture tiennent lieu de fil rouge dans la bulle méditative teintée de quotidien qu’est Psaume, passant. Au fur et à mesure des pages, des lieux se succèdent et s’entremêlent (la rue, la fenêtre, le train), se teintent de profondeur, s’enrichissent de visions et de sons.

Le son, particulièrement, tient une place prépondérante dans le volume de Marc Dugardin qui annonce, dès les premières lignes, vouloir donner voix à ce qui l’écoute :

Écouter ce qui m’écoute.
Car rien ne vient d’ailleurs que d’écouter.
De se laisser écouter. 

Psaume d’un nous. Un nous que cela ferait, ensemble, d’écouter.

Dans cette dynamique, le poète « vaille que vaille, psalmodiant » mêle sont chant à celui de l’oiseau (qui n’est autre que cet écouté écoutant), modèle à suivre, auquel donner corps, dans la mesure où il « ne fait qu’un avec son chant ».

Nous relèverons encore chez Marc Dugardin un goût pour le déploiement d’une pensée paradoxale, l’incursion de psaumes bibliques venant connoter son propos, un cheminement dans la vie (et dans la fin de vie) conférant à Psaume, passant des allures de journal en construction que viennent renforcer les quelques photographies d’Antoine Dugardin. Celles-ci reprennent en effet les motifs récurrents du texte et, les en extrayant, contribuent à nous les rendre étrangers et fascinants. Reflet du monde du poète dans un autre regard que le sien, elles terminent de clore sur lui-même le texte tout en invitant le lecteur à s’y plonger.

Camille Tonelli

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