Archives par étiquette : religion

Résurrection de mots

Marie-Thérèse BODART, Le mont des oliviers, Préface de Pascale Toussaint, Samsa, 2022, 160 p., 18 €, ISBN : 9782875933966

bodart le mont des oliviersIl suffit de parcourir les rayons d’une bibliothèque ou de feuilleter un ancien magazine littéraire pour constater à quel point le temps constitue souvent une rude épreuve pour un livre, même quand celui-ci rencontre le succès lors de sa parution. Aussi la réédition représente-t-elle une entreprise à risque, certes, mais aussi une chance pour une œuvre d’affirmer son amplitude et de vivre une vie nouvelle.

Après La moisson des orges, L’autre, Les meubles et Les roseaux noirs, les éditions Samsa poursuivent leur travail remise en lumière de l’œuvre romanesque de Marie-Thérèse Bodart (1909-1981). Paru en 1956, Le mont des oliviers nous immerge dans l’univers de la réclusion monastique d’Agnès, une jeune femme en proie aux tourments après qu’elle a découvert que sa sœur a assassiné l’homme qu’elle aimait et qui était aussi son propre amant. Continuer la lecture

Cène de crime !

Patrizio FIORILLI, Au commencement, il y eut le mal, F Deville, 2022, 234 p., 20 €, ISBN : 978-2-87599-054-9

fiorilli au commencement il y eut le malAu commencement… de la lecture, ou juste avant celle-ci, à la lisière d’un univers vierge, il y a l’étonnement. Devant des distorsions entre les première et quatrième de couverture. Mise en page tonique, illustration de Loustal et couleurs envoûtantes, mais aucun mot sur l’auteur Patrizio Fiorilli et faute d’accord dans le texte d’accroche. Croix dessinées en front d’ouvrage, Ponce Pilate et le Christ évoqués au dos du livre, mais un bandeau annonce une finale de prix polar (Foire du livre de Bruxelles 2021). Quid ? Un récit policier se faufilant dans un décor historique ? En l’occurrence dans la Jérusalem du Ier siècle, aux alentours de la Pâque juive, de la crucifixion de Jésus ? Continuer la lecture

Croire, serait-ce prendre son envol ?

Vincent FLAMAND, Quand Dieu s’efface…, Préface d’Emmanuel Carrère, Éditions Jésuites, coll. « Fidélité », 2019, 108 p., 12 €, ISBN : 978-2-87356-835-1

Beaucoup attendent de la foi consolation et certitude. Moi, j’en espère la liberté. 

Croire pour moi, c’est prendre son envol, malgré ou grâce aux blessures inguérissables qui nous empêchent de voler ; être mis à quia par l’absurde tout en refusant au plus profond de soi qu’il ait le dernier mot. Accepter la naïveté, l’errance, l’excès. […] Voir les choses autrement, sous l’angle du don. 

Dans Quand Dieu s’efface…, Vincent Flamand se penche sur le parcours singulier d’une foi en perpétuelle métamorphose : la sienne. Sous la forme de lettres à un presque inconnu dont le regard intense, qui ne le quittait pas, l’avait frappé lors d’une conférence sur le christianisme qu’il donnait à l’évêché de Liège, qu’il aurait voulu rencontrer mais qui s’était déjà éclipsé et dont il a seulement saisi au vol le prénom : Rodolphe Henri. Continuer la lecture

Croyance et jeu

Un coup de cœur du Carnet

François DE SMET, Deus Casino, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2020, 242 p., 18 €, ISBN : 978-2130810247

C’est en partant du pastafarisme — cette religion parodique et loufoque créée par Bobby Henderson en 2005 — que le philosophe et essayiste François de Smet interroge la nature des religions et s’efforce de mettre au jour les fondamentaux au principe de leur genèse. Si seule son initiale le distingue du rastafarisme, le pastafarisme n’a rien en commun avec le premier. Basé sur une divinité « faite de boulettes et de pâtes cuites », ce nouveau culte apparaissant comme un canular inoffensif entraîne un ébranlement des frontières séparant le religieux du non-religieux. Si le chrétien arbore le signe de la croix, le pastafarien a comme signe distinctif une passoire sur la tête. Au fil d’analyses aussi solidement étayées qu’audacieuses, s’appuyant entre autres sur les travaux de Jean Huizinga, Deus Casino part du torpillage des fondements de la religion que produit le pastafarisme : par-delà sa charge d’autodérision, le culte d’une nouvelle divinité appelée « Monstre en spaghetti volant » dynamite les certitudes sur ce qui est religieux et ne l’est pas. Pourquoi, au nom de quoi reconnaître des religions instituées dont les piliers de la foi violent la rationalité, les acquis de la science (immaculée conception, transsubsantiation…) et refuser un culte fondé sur un « Monstre en spaghetti volant » ou encore sur les Schtroumpfs ou les licornes de mer ? Continuer la lecture

Le refus de la bigoterie aliénante

Annie PRÉAUX, Les beaux jours, M.E.O., 2020, 145 p., 15 € / ePub : 8.99 €, ISBN : 978-2-8070-0231-9

Le récit de l’autrice nous plonge dans la vie d’Annette, une jeune fille de douze ans qui vient d’être réglée pour la première fois et à qui sa grand-mère annonce que « les beaux jours sont finis ». Spontanément, l’héroïne répond in petto (et le lecteur aussi) : ah, bon ? Continuer la lecture

Devenir ce qu’on est

Kenan GÖRGÜN, Le second disciple, Arènes, coll. « Equinox », 2019, 396 p., 20 € / ePub : 14.99 €, ISBN : 978-2-7112-0111-2

L’on sait que Kenan Görgün est un observateur fin et particulièrement bien documenté des phénomènes sociaux, entre autres en Belgique. Une société dont les marges et le risque que celles-ci font peser sur le vivre ensemble le questionne. 

Plusieurs de ses textes antérieurs ont ce que l’on pourrait nommer une valeur prospective. L’auteur extrapole à partir des situations sociales qu’il perçoit et il imagine une évolution vers un futur possible, non sans une inquiète lucidité. Le second disciple, son nouveau roman, est à nouveau un bel exemple de sa volonté de faire comprendre, par le biais d’une fiction efficacement menée, des phénomènes mal perçus, si pas franchement caricaturés. Continuer la lecture

Amélie Nothomb apocryphe

Amélie NOTHOMB, Soif, Albin Michel, 2019, 160 p., 17.90 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-44388-5

Amélie Nothomb Soif Albin MichelPour sa vingt-huitième rentrée littéraire, Amélie Nothomb revient avec un roman au titre minimaliste : Soif. Elle y raconte les derniers jours de Jésus, à la première personne.

Dans ses écrits autobiographiques, Nothomb révèle la place singulière que Jésus occupe dans sa vie, depuis la toute petite enfance. Figure d’identification, avec qui elle se sent « une connivence profonde […], car [elle] étai[t] sûre de comprendre la révolte qui l’animait » (Métaphysique des tubes, 2000), Jésus est aussi un modèle :

Récapitulons : petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus. (Stupeur et tremblements, 1999)

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Intemporelle Passion du Christ

Gérard ADAM, La Passion selon Saint-Mars, M.E.O., 2018, 199 p., 18 €, ISBN : 978-2-8070-0171-8

Gérard Adam, à côté de son œuvre de nouvelliste, de direction des éditions M.E .O, qu’il a cofondées, ou de traducteur de poésie et romans bosniaques ou croates (aux éditions M.E.O.), propose en cette rentrée littéraire son dixième roman. Gérard Adam qui, comme le mentionne la quatrième de couverture de La Passion selon Saint-Mars, continue de piocher dans les interrogations qui sous-tendent son œuvre d’agnostique imprégnée de religion chrétienne. Continuer la lecture

Journal d’un curé de campagne

Réginald GAILLARD, La partition intérieure, Rocher, 2017, 264 p., 18.50 €/ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2268092072

gaillardCurieux objet littéraire que ce roman de Réginald Gaillard, fondateur des éditions de Corlevour et de la revue NUNC, et auteur, entre autres, des recueils Autour de la tour perdue  et L’échelle invisible aux éditions Ad Solem en 2013 et 2015. Il nous revient avec La partition intérieure, publié aux éditions du Rocher et paru ce 4 octobre. Continuer la lecture

Où es-tu, Yazid ?

Claude RAUCY, Où es-tu, Yazid ?, Ker, 2016, 88 p., 8 €, ISBN : 978-2-87586-143-6

raucy-yazidC’est dans la cabane du jardin qu’Eliott a trouvé Yazid. Un adolescent comme lui, en sweat-shirt à capuche, mais au parcours quelque peu différent. À la télévision, Eliott en avait bien entendu parler, de ces jeunes partis en Syrie. C’est de là qu’est revenu Yazid, pour aller se cacher dans le premier refuge trouvé. Et alors que la question de la dénonciation pourrait se poser, Eliott commence par lui offrir de l’eau. Continuer la lecture

Entre philosophie et religion : ou comment débattre sur la folie humaine

Éric-Emmanuel SCHMITT, L’Homme qui voyait à travers les visages, Paris, Albin Michel, 2016, 421 p., 22€/ePub : 14.99 €   ISBN : 978-2-226-32883-0

schmittEn septembre 2015, Éric-Emmanuel Schmitt publiait La nuit de feu aux éditions Albin Michel. Il y racontait son expérience mystique à 28 ans dans le désert algérien. Pour la rentrée littéraire 2016, il poursuit l’exercice et prend le climat actuel d’attentats pour prétexte à une réflexion théologique plus poussée. Ou quand la philosophie devient populaire. Continuer la lecture

Inventer sa vie

Colette NYS-MAZURE, Cette obscure clarté, Paris, Salvator, 2015, 192 p., 19 €

Marcheuse du quotidien, Colette Nys-Mazure, poursuit son voyage, tout en réflexions, en émerveillements ou en constats plus douloureux. C’est du bel oxymore cornélien « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » qu’elle s’est inspirée pour  titrer ce nouvel essai bien dans la ligne des « célébrations » qui l’ont précédé. Si sa marche à travers les jours se nourrit de tout ce qui passe à portée de sa vision structurante et poétique, c’est aussi, et surtout, à la lumière de la mémoire et d’un long cheminement que ce « butin » exprime sa vraie richesse. Continuer la lecture

Quand la patience s’impatiente, habiller la fin de vie de sur-mesure

Un coup de coeur du Carnet

Gabriel RINGLETVous me coucherez nu sur la terre nue, Paris, Albin Michel, 2015, 252 p., 17 €/ePub : 11.99 €

ringletLes éditions Albin Michel publient un nouveau livre de Gabriel Ringlet : Vous me coucherez nu sur la terre nue. L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie.

Autant le dire d’emblée : il y a dans ces 230 pages tant de perles et de pépites que c’est un véritable trésor, un livre qui fait du bien, un livre qui aide à vivre celui qui sait qu’un jour il va mourir, sans connaître le jour ni l’heure, … ni les conditions de ce grand pas\sage.  Continuer la lecture

Fleurs de la passion

Jean-Michel AUBEVERT, Soleils vivaces, Mont-Saint-Guibert, Le Coudrier, 2015, 166 p., 18€

aubevert

 

Au jardin des symboles entretenu par Jean-Michel Aubevert, les fleurs abondent, distillant leurs parfums sous la souveraine et sensuelle autorité de leur reine, cette rose, personnification récurrente de tous les égards, de tous les amours et de tous les désirs.

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Hitler, un nouveau sauveur?

Arnaud DE LA CROIX, La religion d’Hitler, Racine, 2015, 211 p., 19,95 €

de la croixAprès Hitler et la franc-maçonnerie (Racine, 2013), Arnaud de la Croix s’attaque à la question –controversée – de la religion d’Hitler, dans son nouvel essai publié aux éditions Racine. Baptisé dans l’Église catholique et enfant de chœur, le chef du mouvement national-socialiste était-il chrétien – comme l’a notamment soutenu le philosophe Michel Onfray, dans son Traité d’athéologie ?  Sa foi s’inscrivait-elle dans une mouvance néo-païenne ou le Führer entendait-il en revenir aux anciennes croyances germaniques ? Était-il athée ? Continuer la lecture

Mystique et athée

Un coup de coeur du Carnet

Jean Claude BOLOGNE, Une mystique sans Dieu, Paris, Albin Michel, 2015, 327 p., 20,90 €/ ePub : 14.99 €   ISBN : 978-2226258519

bologne_cottonIl y a quarante ans, Jean Claude Bologne a vécu durant quelques instants « une expérience fulgurante de l’absolu ». Quelques instants qui ont marqué et transformé toute sa vie. En 1995, il a consacré à cette expérience mystique, exempte de toute référence à Dieu, un premier essai qu’il considérait comme une délivrance, pensant n’avoir plus à revenir publiquement sur le sujet. N’empêche, alors que le temps a passé « sans rien changer à la brutalité de la mémoire », il s’est résolu, poussé par « les confidences que le livre a suscitées » et par « les réflexions qui l’ont prolongé » à témoigner « avec moins de lyrisme et de candeur » de « l’instant où le monde a basculé » et de la faculté de survivre « à l’immense désarroi de ne plus le connaître ». En précisant aussi que cet instant, « on ne peut que le vivre » sans qu’on puisse le provoquer ou le renouveler volontairement, sa marque étant du reste indélébile. Quant au caractère « ineffable » de l’événement, il implique, par définition, que son abord oblige à des détours par les approximations de ce qui peut être exprimé. Continuer la lecture