Au rythme du cœur qui bat et se débat

Un coup de cœur du Carnet

Ariane LE FORT, Quand les gens dorment, ONLIT, 2022, 186 p., 18 €, ISBN : 9782875601513

le fort quand les gens dormentOn prend l’histoire en cours – l’histoire d’un amour. Janet retrouve Pierre chez lui, dans un immeuble bruxellois promis à la démolition – avec vue sur la cathédrale. Janet : 57 ans, « quelque chose de Barbara », travaille dans une clinique de la douleur, « avec pour mission de la réorganiser de A à Z ». Pierre : « Max von Sydow en plus chevelu », réalisateur en vue, jusqu’à ce que. Sa fille, renversée par un tram. Décédée. Lui, plus mort que vif, depuis. « Plus personne ne le reconnaissait, on ne le regardait plus, il n’avait pas fallu cinq ans ». Ils sont chacun d’un autre côté de la vie, de la mort, Janet et Pierre ; et ça, davantage que la différence d’âge (il est plus âgé de quinze ans), va entraver l’histoire. Le désir. Va faire qu’« ils ne vivraient sans doute jamais ensemble et mourraient chacun chez soi le soir venu ».

On le sait depuis L’eau froide efface les rêves (1989), Ariane Le Fort écrit de là où cela se soustrait à notre volonté, à notre maîtrise, à notre mainmise – et, avec son écriture filet à papillons, elle saisit : ce qui naît, vit & survit, meurt aussi. Ce qui jouit & peine à plaisir. Va, vient & se retire. Revient ? L’amour. Toujours.

Cette remontée depuis le derme de l’amour jusqu’à l’épiderme de la page engendre une douceur si douce, une douceur qui nous fait du bien, cette douceur que l’on aime retrouver dans tous ses romans, alors que. Jamais elle n’efface les aspérités. Elle ose tout affronter, tout ramasser dans ses phrases : les fantasmagories, les moments d’abandon et les retours sur terre. Même les pensées les plus égoïstes (« Elle l’aimait fort aussi même si parfois elle souhaitait qu’il meure vite, qu’il n’attende pas dix ou quinze ans. Inutile de se taper la débâcle »).

Quand les gens dorment, le premier livre d’Ariane Lefort à être publié aux éditions ONLiT, est le roman d’un amour qui n’est pas le premier et peut-être pas le dernier. On lit le point de vue de Janet. Sa manière de perce-voir (par l’œil, les sens, l’esprit et les mots), sa façon de vivre l’histoire sont indéfectiblement liées à son passé (un viol à la sortie de l’adolescence enfoui dans le silence), à son présent (son fils s’est enfui par amour en Amérique du Sud et donne si peu de ses nouvelles), à la vie matérielle (la chaudière de l’appartement de Pierre tombe en panne et tout va se mettre à refroidir, les jours sont comptés ; le feu dans la cheminée de son appartement déborde de l’âtre et l’odeur de brûlé se répand sur tout, sur leur amour aussi). Ajoutons à cela l’épidémie de Covid-19 qui s’en mêle. Et Pierre qui ne veut, qui ne peut, qui ne fait que dormir. Si tout cela empêche l’amour de filer droit, il y a aussi ce qui le renforce : les bonheurs et les plaisirs sensuels, de la peau, du vin partagé, de la présence de l’autre. Le sourire. La beauté du monde. La nature qui renaît. Ariane Le Fort nous les donne en pleins, en déliés, en partage ; et nous transmet l’envie de vivre. D’aimer. Comme dans une chanson de variété. Mais sans nous en cacher les bassesses et les détresses. Comme dans un vrai et bon roman au plus proche du réel.

Michel Zumkir

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