Thilde BARBONI, Les enfants de Cinecittà, Academia, coll. « Évasion », 2022, 226 p., 20 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-8061-0638-4
L’œuvre de Thilde Barboni a abordé avec bonheur différents genres littéraires : le roman, le théâtre, le scénario de bandes dessinées, le feuilleton radiophonique. La pratique de ces différents modes de narration a donné à la romancière un sens aigu de l’image, de l’espace du récit et de l’enchaînement fluide des différentes séquences qui hypnotisent littéralement le lecteur jusqu’au dénouement.
On retrouve ces qualités dans ce dernier roman, dont une traduction italienne parut l’an dernier. Le récit, qui débute dans l’Italie de l’après-guerre, a trouvé sous la plume de la romancière cette singularité idéale que la fiction requiert lorsqu’elle est précisément située dans un lieu et une époque de l’Histoire. Pour Les enfants de Cinecittà, il s’agissait de situer les personnages et leur destinée dans ce quelque part dans la campagne italienne, entre Ladispoli et Cerveteri. Mais aussi, plus avant dans le récit, le livre raconte la découverte de la ville de Rome par Antonio, enfant, les travaux des champs, la vocation de cinéaste née au hasard d’un tournage d’une équipe de Cinecittà, et le destin de celui qui « inventa » un genre cinématographique qu’un critique new-yorkais appela le « western-spaghetti » et qui fit date dans l’histoire du septième art.
Laissons à la romancière le soin de nous donner le pitch du roman :
Antonio Barbieri, jeune paysan du nord de Rome, échappe à la dureté de la ferme familiale en s’évadant dans la fiction. Grâce à de petits trafics illégaux de ventes de poteries étrusques trouvées dans les champs familiaux, il parvient à s’introduire à Cinecittà. Il y fait de petits boulots puis finit par proposer un scénario à un producteur, un western tourné en Italie, à petit budget. Le producteur parie sur le jeune homme et produit le film qui remporte un immense succès dans l’Italie du « miracle économique ».
Dans le sillage des principaux protagonistes du roman, Antonio, Marco et Graziella, Barboni nous immerge dans l’Italie de l’après-guerre et une région déshéritée du nord de Rome, nous donnant à ressentir cette misère du monde paysan dont le cinéma néo-réaliste aura été le témoin impitoyable. Antonio Barbieri, est un enfant martyrisé par une famille cruelle dont il est un bâtard. Son refuge, sa résilience, il les trouve dans le cinéma où sa mère, qui a fui la tyrannie familiale, a trouvé un travail, à Rome. La jeune Graziella est l’amour secret de sa jeunesse et Marco l’ami indéfectible, de ce garçon né d’un père inconnu. Tous trois seront engagés à des titres divers dans la renaissance du cinéma italien et de Cinecittà où se tournent des péplums. Un tournage dans la propriété familiale donne l’occasion à Antonio d’entrer dans l’équipe du film, et, au terme de nombre de péripéties, de faire accepter un scénario par le producteur Dino Marchis, figure paternelle dévoilée petit à petit sous des dehors roublards. Cette rencontre s’avérera un tournant dans la vie du jeune paysan, qui s’apprête à inventer une nouvelle forme de cinéma de divertissement. Le tournage va changer aussi la vie de Marco (devenu star) et Graziella (qui débutera une fulgurante carrière à Hollywood). Ces différents épisodes, indiqués à titre d’exemples, donnent à la romancière l’occasion de plonger le lecteur dans un récit à la fois émouvant, palpitant et bouleversant. Certaines séquences semblent être prêtes à être adaptées en roman graphique ou, pourquoi pas, en film…
L’atmosphère fébrile des tournages de péplums ou de westerns, la magie que les salles de cinéma opéraient sur les enfants, l’invention du genre western-spaghetti (et ses codes : « vrais » cow-boys, musique en contrepoint, drôleries des situations, audace dans les angles de prises de vue…) enchanteront les lecteurs qui, par la puissance d’évocation du récit et une écriture limpide, retrouveront certainement ces émotions, partagées avec jubilation par la romancière, dont on devine à chaque ligne combien elle est proche des sensations qu’elle fait vibrer, comme une lumière scintillante.
Jean Jauniaux