Sur un fil, avancer toujours

Daniel CHARNEUX, Les oiseaux n’ont pas le vertige, Genèse édition, 2022, 207 p., 21 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-3820101-67

charneux les oiseaux n ont pas le vertigeDe l’enfance à l’âge mûr, les souvenirs de Jean Berthollet sont racontés à la première personne, entrelacs de faits marquants et de cartes postales du quotidien. Les images du petit village ardennais des premières années installent une ambiance bucolique : théâtre de pleine nature, tout en quiétude, qui ne se laisse pas troubler par les drames qui y bouleversent les habitants. Mais l’insouciance de Jean connaît une fin tragique lorsqu’un accident de vélo emporte son jumeau et son enfance.

Il paraît que les cellules de notre intestin se renouvellent en quelques jours, celles de notre cœur en quelques années. Que reste-t-il de l’enfant dans l’adulte ? Rien, sans doute, ou si peu. Aucune molécule du corps, en tout cas. Deux êtres totalement différents, le cerveau mis à part. Car il semble que les cellules de l’encéphale ne se régénèrent pas. Et que toute notre vie, tous nos souvenirs y dorment. À moins qu’ils ne se désagrègent, bus par la boue comme une chaussure perdue. 

Il faudra vaincre culpabilité et dépression et se construire sans son double, reprendre le dessus en lui rendant hommage en quelque sorte, vivre pour deux. De Bois-Mesnil à Paris, de deuil en amour naissant, de passions d’enfant en projets professionnels, de joies en drames et inversement, des racines aux feuilles de son arbre généalogique, le narrateur retrace cette vie amputée avec une sobre dignité.

Longtemps, je n’ai pas eu le vertige. Je n’éprouvais sans doute aucune de ses deux composantes : la peur de la chute et l’attirance pour le vide. Aujourd’hui, je dois avoir perdu mes ailes : si je grimpe au sommet d’une tour d’où se dévoile un vaste panorama, je garde mes distances. Ce n’est pas tellement que j’aie peur de tomber mais plutôt d’avoir envie de plonger. 

La trame n’est pas rigoureusement chronologique : des souvenirs en appellent d’autres sur lesquels le récit enchaîne ; et l’histoire fait des bonds entre les âges, au gré des digressions qui l’écartent de la ligne du temps, sans jamais perdre en clarté, ni en fluidité. Heureux ou triste, le propos est développé dans un style élégant. La langue est précise, sans fioritures, au service de la narration. Le découpage du roman en courtes séquences et le subtil équilibre entre légèreté et gravité font naître un rythme entraînant, qui mène les lecteurs d’orages en éclaircies, contre vents et marées.

Si Les oiseaux n’ont pas le vertige, Daniel Charneux, lui, n’a pas hésité à se lancer dans un numéro d’équilibriste. Alors que la quatrième de couverture annonce une histoire extrêmement sombre, en en dévoilant une part conséquente, le roman recèle de nombreuses nuances et ne demeure pas sans surprises. Cela dit, pour maximiser le plaisir de la découverte, on préfèrera ouvrir le livre directement, sans s’attarder sur son texte de présentation.

Estelle Piraux

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