Constance CHLORE, Le mot Orage, Herbe qui tremble, 2022, 86 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-34-5
« UN JOUR LE MOT ORAGE S’EST DÉCHAÎNÉ »
Dans la continuité de son recueil L’air respirait comme un animal, dans lequel la fourrure de l’air enveloppait la plus exacte animalité, Constance Chlore poursuit dans Le mot Orage, à l’instar des nuages, le « dépliement d’ailes » de sa langue en louvoyant encore entre logos et phoné. Dans ce « livre-poèmes », l’infini(tésimal) tutoie le vertige et donne corps au « je » : « Ce qui s’ouvre : les champs de ma vie présente ». C’est le vivant qui est célébré, zébré d’éclairs.
C’est le vivant qui s’arrache du béton et des massacres répétés pour s’ancrer dans les forêts sauvages du désir et de la poésie. Le vivant, mais aussi le sang, la sensation, la beauté, leurs braises et leurs baisers. Divisé en plusieurs sections (« L’infini ou les six lettres murmurées », « Hauts de vols et clairs d’espace », « L’herbe repousse et tes pas », « Sisa Nambi Je plante », « L’œil venu aux fleurs », pour n’en citer que quelques-unes), ce recueil vit au rythme d’invocations et de proclamations, dans une tonalité hallucinatoire.
En effet, bouleversant jusqu’au bout la linéarité de la parole et l’ordre de la pensée, Constance Chlore introduit des incises, désorganise à foison la typographie pour matérialiser le foisonnement de la vie intérieure et celui du monde rendu à ses éléments (l’air, le feu, la glace, l’eau, la roche, la terre, l’argile). C’est le vivant qui s’organise.
Les déformations du désir et de l’angoisse
douleurs, plaisirs hissent le même tronc
Éperdument je me perds
sous tes avancées de chair
« Attention au bourgeonnement ! Écrire plutôt pour court-circuiter » : Constance Chlore semble avoir fait sienne cette célèbre et retentissante formule d’Henri Michaux. Elle plante sans concession son verbe dans les terres arides du discours et rompt la marche infernale de la destruction du vivant, rend ce dernier à ses propres cycles, ses propres saisons. Et si bourgeonnement il peut y avoir, dans Le mot Orage, dans cette effervescence de sève et cet espace survolté, il vient très justement fendre le ciel de nos propres compromissions pour nous ramener à ce que la poétesse ressent avec intensité : l’immensité du désir.
Ainsi, ne sommes-nous pas surpris que Constance Chlore convoque explicitement Galilée, James Lighthill ou des ouvrages tels que De l’infini (Luminet) ou Conversations sur l’invisible (Adouze, Cassé, Carrière) : c’est autour de l’infini que gravitent peu ou prou les textes composant ce recueil. Cet infini, aussi effrayant que foudroyant, se déploie dans Le mot Orage en véritable ode à la sensation.
Charline Lambert