Un coup de cœur du Carnet
Constance CHLORE, L’air respirait comme un animal, Unicité, coll. « Le vrai lieu », 2022, 18 p., 12 €, ISBN : 978-2-37355-635-3
Ceux qui ont été mis à nu
charment les flammes
nées des vases brisés.
Spéléologie du charnel et du désir, émergence de la glaise de l’intimité où les corps s’ébrouent, ce recueil de Constance Chlore saisit comme autant de signes les traces immémoriales de l’animalité la plus archaïque et les transfigure en sons, en phonèmes, en poèmes. Au verbe, la poétesse lui insuffle, dans L’air respirait comme un animal, un rythme élémentaire, naturel et sensuel au départ de la thématique de l’animalité, à laquelle se joint celle de la « lutte entre le corps et l’esprit ».
Les poèmes de Constance Chlore déploient une véritable ode aux sens, au corps, en particulier féminin, impulsée par une scansion tantôt accélérée tantôt hachée, par une typographie vive ou affolée – à l’image des métaphores disant le chevauchement, le bondissant ou le rapport charnel. Courir, guetter, gueuler ne sont pas les mouvements d’une animalité sublimée, mais sont pris à même le piège de la fusion, du lacet de nos zoos intérieurs, de nos fourrures, nos pelages, nos cornes, nos « pattes devenues doigts ».
Crue Nue je ne dirai plus
je suis plus lèvre que gueule
Sous moi bouge un peu de ton ventre
je dors auprès de toi, je dors auprès d’un abîme
Ayant, comme significativement, trouvé place dans la collection « Le vrai lieu » des éditions Unicité, ce recueil arpente les grottes, les sous-bois, les sources même du langage, entre chien et loup, entre logos et phoné. Ainsi, le langage est-il « désir de dire » davantage que recherche formelle : il plonge autant dans l’étendue de la mer que dans le feu, tisonne les sonorités, cravache comme autant de fouets les vagues du sens.
nous sommes tous un violent désert d’espace
Lire ce recueil demande certainement de consentir à une forme d’abandon lent, de préférer la consistance à la cohérence, de troquer la raison contre un diapason pour s’ouvrir aux plus bruts, aux plus nus mouvements de l’être, car « les sens fondent le premier degré de la conscience ». Cette dernière formule, à l’instar d’autres de ce type qui émaillent le recueil, perdent de leur assertivité péremptoire ou de leur dimension en apparence convenue pour adhérer à même la peau des poèmes.
« Le corps, ce premier instrument », « D’enfer neigeuse », « Nuit peuplée d’ardoises », « Coups d’îles obstinés »,… Les titres des textes, à eux seuls, donnent déjà à frissonner. Car c’est bien de chair dont il s’agit dans L’air respirait comme un animal, de chair aussi insondable que la langue qui l’anime. Constance Chlore, poétesse et romancière, signe en l’occurrence son troisième recueil poétique, écumant de fièvre, bavant de lave, puisant dans le vermeille – un recueil somptueux.
Charline Lambert