Relecture du Moyen Âge

Philippe BERCOVICI, Arnaud DE LA CROIX, couleurs Sylvie SABATER, La véritable histoire du Moyen Âge, Le Lombard, 2022, 256 p., 24,50 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782808203487

de la croix bercovici la veritable histoire du moyen ageAprès le remarquable essai graphique La franc-maçonnerie dévoilée (Le Lombard, 2020), le philosophe, historien, essayiste Arnaud de la Croix et le dessinateur Philippe Bercovici dévoilent, en vingt dates clés, un autre visage du Moyen Âge. L’alliance du tandem fait merveille dans la relecture d’une séquence historique de mille ans souvent caricaturée comme période obscurantiste avant que la Renaissance ne jette ses lumières et ses feux humanistes.

Passionné par les temps médiévaux auxquels il a consacré de nombreux essais (L’érotisme au Moyen Âge, Les Templiers, chevaliers du Christ ou hérétiques ?), Arnaud de la Croix ouvre le corps de l’Histoire en suivant d’autres trajets, d’autres coutures tenues dans l’ombre par l’historiographie officielle. C’est à partir de courants minoritaires, de phénomènes conspués, de facta non grata de la discipline historique (les cathares, la sorcellerie, l’alchimie, la mystique…) qu’il redéploie une vision des questions géopolitiques, religieuses, culturelles d’une époque. Pas à pas, en vingt dates clés, l’ouvrage déconstruit la légende d’un Moyen Âge réduit à la barbarie, à l’Inquisition, comme si les anges des ténèbres avaient soufflé sur l’Occident, sur le continent européen, du 5e siècle au 15e siècle. C’est à la lumière des massacres et abominations des 20e et 21e siècles, à partir d’une mise en perspective, d’un regard novateur qui bouscule les idées reçues qu’il donne à découvrir la complexité d’une période marquée par les croisades, les luttes entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, le style gothique, les cathédrales, l’avènement du roman avec Chrétien de Troyes, la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, date qui signe la fin de l’ère médiévale.

Le regard historique est une question de coupe, d’angle, de focale, d’enquêtes, mais aussi de mise en relation. Nouant l’approche par le haut (les « grands hommes », les rois, les papes, les événements-charnières…) à l’histoire par le bas (le peuple, les mouvements socio-politiques plus souterrains, les phénomènes tenus pour marginaux ou hérétiques…), diagonalisant les deux approches, le livre démontre que la notion occidentale de « Moyen Âge » n’est rien sans l’analyse des relations de l’Europe au reste du monde (Marco Polo en Asie, sur la route de la soie, croisades dans le cadre des guerres religieuses pour l’occupation de la Terre sainte…). Ce sont non seulement les sujets choisis (la mystique Hildegarde de Bingen, les Templiers, Albert le Grand et l’alchimie, Jeanne d’Arc, Gilles de Rais, le massacre des Juifs à Bruxelles en 1349…) mais aussi l’intrication entre champs du politique, du religieux, du culturel, de l’économie, de la gastronomie qui dépoussièrent la mythologie de pacotille qui recouvre les temps médiévaux. L’attention portée à des inventions à la fois plus occultes et occultées s’allie à la compréhension de leurs connexions avec des macro-récits (baptême de Clovis, empire de Charlemagne, Urbain II prêchant la croisade à Jérusalem…).

On peut voir dans cet essai graphique et, de façon plus générale, dans la méthodologie d’Arnaud de la Croix un pari audacieux et d’une extrême cohérence en faveur de l’adoption conjointe de ce qu’on appellera, dans le sillage de Gilles Deleuze et Félix Guattari, une histoire majeure et une histoire mineure. Nul hasard que des pans de l’intelligibilité historique que la discipline placée sous le signe de la muse Clio a dédaignés soient exhumés par Arnaud de la Croix, historien par passion et non de formation. Pour suivre les fils de la tapisserie qui relient les troubles religieux, les rivalités entre monothéismes, les visées officielles et les manœuvres secrètes de l’Église, l’amour courtois, la mort de Jérôme Bosch, l’édification des cathédrales, de Notre-Dame-De-Paris, la naissance des universités, de la musique polyphonique…, il faut se livrer à une double lecture, celle de la présentation officielle des faits, celle de leur teneur latente, passée sous silence. Une double lecture, gage de fécondité si elle est bien menée, que le 21e siècle a trop tendance à stigmatiser sous le chef d’accusation, aussi creux que vague, de complotisme, terme que les adversaires idéologiques ou épidermiques se jettent au visage. L’Histoire se présente comme un grand corps, parfois malade, parfois vaillant, auquel nous appartenons. La véritable histoire du Moyen Âge nous rappelle notre inscription dans une matière que l’on étudie à la fois du dedans et du dehors, dans le « comme si » de l’éclairage distancié, externe. 

Véronique Bergen

Signalons la parution de L’alchimie. Histoire et actualité d’Arnaud de la Croix (éd. Jourdan, 21 €).

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