Le BAM accueille une importante exposition consacrée au peintre montois Anto-Carte (1886-1954). De Verhaeren à Caroline Lamarche, Anto-Carte. De terre et de ciel évoque aussi le dialogue de l’artiste avec la littérature.
L’exposition se déploie sur deux étages du BAM, chacun proposant une approche différente de l’œuvre d’Antoine Carte, mieux connu sous le pseudonyme d’Anto-Carte dont il signe ses tableaux dès 1917. Le premier niveau déploie une approche thématique du travail de l’artiste. Préféré à une présentation chronologique, ce choix d’accrochage met l’accent sur des motifs et sujets qui traversent toute la carrière du peintre : le symbolisme, la mère à l’enfant, le pain…
Au deuxième étage, des œuvres d’Anto-Carte dialoguent avec des travaux d’autres artistes appartenant aux collections du musée montois. Peintures, sculptures, gravures de toutes époques soulignent à la fois la singularité de l’approche du peintre et son inscription dans une longue tradition iconographique.

Anto-Carte, La pietà, 1918, huile sur toile, 94 x 112,5 cm. Collection du musée des Beaux-Arts (BAM), propriété de la Ville de Mons conservée à l’Artothèque. photo : Atelier de l’Imagier © SABAM Belgium 2022
Les œuvres exposées au BAM sont nombreuses, certaines remarquables. Elles dévoilent la fascination du peintre pour les sujets religieux, la Vierge à l’enfant, l’Annonciation ou le fils prodigue singulièrement, qu’il réinterprète volontiers dans un contexte de son propre temps, infléchissant ici le Christ descendu de la Croix en un mineur du Borinage, là la Vierge éplorée en une mère de soldat mort à la guerre. Ensemble, les tableaux exposés donnent un aperçu précieux de l’œuvre d’un peintre reconnu de son vivant, qui a été souvent exposé en Belgique et à l’étranger, mais est peut-être un peu oublié aujourd’hui, malgré des expositions récentes à Mons et au Musée d’Ixelles. Une méconnaissance qui s’explique sans doute pour partie par le rejet par l’artiste de toutes les avant-gardes artistiques de l’entre-deux-guerres, mais aussi par l’aura des peintres du groupe de Laethem-Saint-Martin, qui a relégué dans l’ombre leurs alter ego wallons du groupe Nervia, fondé par Anto-Carte, Léon Eeckman et Louis Buisseret.
Dialogues avec la littérature
La trajectoire d’Anto-Carte a été fortement influencée par sa lecture d’Émile Verhaeren. Grand admirateur des Villages illusoires, Carte a rencontré le poète en 1910 et a réalisé une série de dessins inspirés du recueil. Il nourrit en particulier une fascination pour la figure du passeur d’eau, « De tout son corps ployé en deux / Sur les vagues sauvages », « Cet homme fou, en son entêtement / À prolonger son fol voyage ». Anto-Carte a décliné le personnage de Verhaeren dans différents tableaux, Le passeur (1923) et L’effort (1920), dont l’une des multiples versions réalisées par l’artiste est exposée à Mons. Anto-Carte a trouvé dans ce poème un écho à sa propre méfiance pour l’industrialisation, qui menace les métiers traditionnels.

Anto-Carte, Le retour du fils prodigue, 1920, huile sur toile, 120 x 90 cm. Collection privée. photo : Jacques Vandenberg © SABAM Belgium 2022
Si le peintre a puisé une part de son inspiration dans la littérature, il a lui-même, en retour, inspiré des écrivains. L’un des temps forts de l’exposition est d’ailleurs une installation réalisée à partir d’une nouvelle inédite de Caroline Lamarche, Tombe neige. L’écrivaine et lauréate du prix quinquennal de littérature travaille régulièrement dans les parages des arts visuels. On pense notamment à l’exposition Zoonose, avec le photographe Cédric Gerbehaye, présentée cette année au Mill (La Louvière), à son implication dans le musée Art et Marges (Bruxelles), ou encore à sa subtile méditation sur le vice et la vertu pour le catalogue de l’exposition Vices et Vertus du TreMa et du Musée Rops (Namur). Pour De terre et de ciel, l’écrivaine s’est inspirée du Retour de l’enfant prodigue d’Anto-Carte, qu’elle a mis en dialogue avec Le déclin du jour d’Émile Claus et Le fils prodigue de Marcel Mariën. Les trois œuvres sont présentées côte à côte au BAM, dans une salle dédiée, où la nouvelle de Caroline Lamarche est lue par Ariane Théry. L’autrice imagine un instituteur d’aujourd’hui montrant les trois œuvres à ses élèves pour leur expliquer la neige et l’épisode évangélique dont Carte s’inspire, inconnus en ces temps frappés par le réchauffement climatique et l’inculture religieuse. Par le biais de son personnage d’enseignant passionné, Caroline Lamarche renoue avec la tradition de l’ekphrasis, animant par ses mots le tableau qu’elle décrit et transmettant aux visiteurs la force expressive qu’elle voit dans le tableau, et la résonance paradoxalement actuelle de l’œuvre d’un peintre qui se revendiquait lui-même comme antimoderne.
Nausicaa Dewez
En pratique
Anto-Carte. De terre et de ciel
Jusqu’au 21 août 2022
BAM – rue Neuve, 8 – 7000 Mons
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Site internet
Plus d’informations
- L’exposition s’accompagne d’un riche catalogue, coordonné par Denis Laoureux, co-édité par le BAM et Snoeck.
- La nouvelle de Caroline Lamarche, Tombe neige, a été éditée par le BAM dans une plaquette rehaussée de collages d’Emelyne Duval. Elle est en vente à la boutique du musée.
- Le recueil de Verhaeren Les villages illusoires a été réédité dans la collection Espace Nord. Un dossier pédagogique téléchargeable est aussi disponible.