Anne-Marielle WILWERTH, Vivre au plus près, Éditions du Cygne, 2022, 58 p., 10 €, ISBN : 9782849246931
Vivre au plus près, nouveau recueil poétique d’Anne-Marielle Wilwerth paru aux éditions du Cygne, livre à ses lecteurs les nœuds d’une quête existentielle faite d’intériorité, de silences, de recherche de dénuement, d’interstices et d’instantanés dans ce qui s’apparente à une conscience aigüe du temps qui passe. Il s’agit d’une poésie concise d’apparence simple, mais le principe d’économie qui préside au choix du mot permet le rayonnement et l’abondance de significations. C’est ainsi qu’émerge une dualité douce entre monde physique et métaphysique, principes de l’existence avec lesquels la poétesse nous invite à composer.
Soumise au poids du temps, cette dualité confère au livre des accents parfois testamentaires. Le recueil scénarise une course contre l’inéluctable qui reparait ponctuellement sous de nouvelles tenues de camouflage. Il s’agit toujours d’agir avant, « avant que ne s’immobilisent les possibles », « avant l’envol », mais la destination – mortelle – ne porte en elle aucun tragique. À l’orée de ce qui est, la mort est énoncée à titre indicatif et détaché, la poétesse se faisant guide et oracle : « À l’orée de l’inéluctable / nous n’aurons bientôt plus d’encre […] », « Nous sommes à mi-chemin / entre la poussière / et la poussière / Nous voyagerons jusqu’au bout de l’inventé », « Quand on atteindra le soleil couchant / on n’apportera pas la matière […] ».
L’écoulement des secondes sonnera, à terme, le glas de la matière. Telle est donc l’échéance que mire Anne-Marielle Wilwerth. Tout l’enjeu de l’écriture du recueil, minuscules bulles noires nichées sur le grand blanc des pages, consistera alors à surpasser la matière par l’intermédiaire d’un microcosme intérieur débouchant sur l’immensité et la permanence du monde de l’imperceptible. En d’autres termes, la matière est le pont par lequel aboutir au monde intérieur et silencieux, port d’attache des questionnements existentiels et métaphysiques :
Vivre au plus près des choses
au plus près
de ce qui scintille en soi
de ce qui palpite
dans l’imperceptible
Le mot, comme toujours, occupe une place centrale dans les questionnements de la poétesse. Sobre et direct, nu de toute ponctuation, il permet la recherche du dénuement le plus absolu, le plus étroitement lié à une vérité brute tenant de l’enfance (« Chaque jour / on voit l’enfance / resserrer son étreinte / autour de l’écrire / et s’en réjouir »). Le mot et l’écriture ne sont toutefois pas que de simples outils d’investigation – pour gratter la surface du réel – et d’invocation – en particulier au travers d’injonctions appelant ce qui devrait être (« Vivre au plus près […] », « Essayons de ne pas nous égarer […] », « Ne nous laissons pas distraire […] »). Ils sont encore les seuls lambeaux de matière en qui reposent tous les espoirs de mémoire :
Pourra-t-on laisser le poème
seul
dans le déroulé
de cette vie vacillante
Pourra-t-on lui instiller
la patience qu’il mérite
Les interrogations que soulèvent les poèmes de Vivre au plus près restent bien entendu ouvertes au milieu des stratégies porteuses de lumières et d’apaisements (résolument positives) défendues par la poétesse. Dans la seconde section du recueil – Comme un bruit d’incertitude – Anne-Marielle Wilwerth laisse toutefois derrière elle ses questionnements existentiels pour affirmer les enseignements poétiques qui s’en dégagent sans pour autant être neufs dans sa pratique de la poésie :
Nous écrirons
dorénavant
le monde en abrégé
mais nous en aurons gardé
sa plus riche densité
Alors, les instantanés se succèdent (« À cette heure-ci / Les coquillages baillent encore / et la marée montante / renouvelle notre espoir / en son sable ») en même temps que s’affirme une conception de la poésie de moins en moins dans la prédiction, de plus en plus ancrée dans le présent (« Un poème délesté de ses silences / ne peut remplir / que les blancs / des apparences »). Le lecteur, quant à lui, pris par le calme et la nonchalance ambiante, saura reconnaitre une invitation à déambuler dans les sillons thématiques inlassablement creusés par une poétesse aguerrie.
Camille Tonelli