Dans le crâne de la douleur

Pierre DANCOT, Le bannissement, Arbre à paroles, 2022, 72 p., 11 €, ISBN : 978-2-87406-716-7

dancot le bannissement« Je ne sais plus qui de toi ou de moi a commencé à déchirer le jour, qui de toi ou de moi a noirci nos silences, je ne sais plus pour qui tu rêves, ni comment tu embrasses à la tombée de la nuit […] »

Dans Le bannissement, le poète et éditeur Pierre Dancot « décrit », comme l’écrit Pierre Schroven sur la quatrième de couverture, « les états d’âmes d’un amour qui lui échappe ». Les affects qui traversent ce recueil puisent dans le registre d’une temporalité bouleversée par la douleur, sont pris en charge par la tonalité de l’ardeur.

L’amour s’est éclaté sur les dalles du temps, l’amour a été mis en pièces : « Tu es partie avant Nous. » En une suite de fragments, l’écriture figure alors les éclats de ce départ, les débris intérieurs de l’amoureux laissé seul sur le seuil de l’avenir. Oscillant entre l’imparfait, le présent et le conditionnel, le verbe de Pierre Dancot instille l’espoir, sans cesse contrecarré par le constat d’un point de non-retour. Seule perspective : la mort et les « oiseaux noirs au-dessus de nos têtes ».

À rebours de cette perspective qui s’impose comme l’évidence, le poète creuse le temps d’avant, l’enfance et l’innocence d’un amour qui pétille comme l’eau, d’un désir couleur framboise. Dans cette joie, le poète traque les signes du futur qui s’annonce, de la sentence-couperet, du bannissement. C’est en exilé qu’il arpente alors le territoire de la fusion charnelle, le ventre des mots chuchotés et des grandes déclarations passionnées.

Je t’aime à l’eau de rose, au petit matin, à la cannelle, je t’aime à la haute nuit, au vent mauvais, à la différence, je t’aime au ventre chaud, à l’inégal, à la première note, je t’aime à la menthe fraîche, au chemin, au grand large, à l’aneth, aux quatre saisons, à la lumière, à la lune noire, à pleines mains. Je t’aime sans. 

La récurrence de la couleur noire, qui prend le dessus sur toutes les autres, forme une matière qui s’insinue de plus en plus densément dans le « crâne » de l’amoureux. Lui en coûtent des cicatrices, des fêlures, une blessure à jamais imprimée dans la tête : « Tu déchires l’enveloppe de mes vingt ans ». Démuni, il n’a alors plus d’autre choix que de s’adresser à l’amour qui est parti et de songer, depuis l’abîme du manque, à ce qui aurait pu être.

Il reste pourtant quelque chose de cette aventure : un recueil d’une soixantaine de pages transies de fièvre, qui marquera certainement quiconque aura déjà éprouvé le départ de l’être aimé, le bannissement d’un amour qui était promis à l’éternité.

Charline Lambert

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