Dire le désastre

Un coup de cœur du Carnet

Luc BABA, Vesdre, Arbre à paroles, 2022, 123 p., 14 €, ISBN : 978-2-87406-725-9

baba vesdreDix mois à peine après les terribles inondations de juillet dernier, voici que nous parvient un texte nourri de ces jours où les rivières et les fleuves ont tué des hommes et détruit des maisons. Luc Baba, qui vit au bord de la Vesdre, a été témoin direct du désastre qu’il nous rend en séquences brèves, tout en finesse. Car le propos d’un écrivain n’est pas de recenser, de documenter un dossier mais de mettre des mots qui suivent au plus près les femmes et les hommes cernés par les flots.

D’abord pour rappeler le plaisir des personnes qui vivent en compagnie de l’eau, qui s’endorment et se réveillent avec son murmure à l’oreille, qui en connaissent la faune et la flore, la lumière et les odeurs. Et qui savent que quelquefois, elle grogne, monte jusqu’à un point donné, puis se retire. Mais cette fois, c’est différent, elle ne s’arrête pas, tous les points de repère sont effacés, il n’y a plus d’électricité, les téléphones sont déchargés, chacun est seul chez soi, sans plus aucun contact direct autre que des visages aux fenêtres. Dans les flots passent des voitures, des objets, des animaux, des arbres. Dans l’esprit de ceux et celles qui attendent, des images défilent, les visages des parents et amis, la crainte du pire, des lambeaux de prières, des souvenirs qui se bousculent. On est sous le toit et on sait que ce qui est en-dessous est déjà perdu, le puzzle qu’on a commencé, la photo encadrée, les livres et les choses que l’on aime. Et on pense à l’après.

Ma vieille maison a son grenier, sous la pente, jonché de souvenirs sauvages, des objets. Les hommes sont des gardiens d’objets. Mais peut-être que ça va changer, peut-être que je vais me détacher des petites pièces, des collections, des miniatures. J’ai un bocal de surprises en plastique, un schtroumpf costaud, une fée avec un tampon, à encre je veux dire, pour imprimer un petit cœur sur du papier. Je vais peut-être devenir un autre, nu. 

Viennent enfin les secours, les voix qui rassurent, la chaleur d’une soupe et de la solidarité, le repos des corps. Puis le retour sur les lieux, le constat du désastre, les effluves et la poisse du mazout, l’interminable nettoyage, le dénuement des voisins, le nom de ceux qui ne répondent plus. La vie reprend ses droits, différente.

Discrètement, reprendre pas du bout des cils, avancer d’un seul détail à la fois.

Luc Baba s’était déjà inspiré directement de sa vie dans Chronique d’une échappe belle, où il nous narrait comment il avait surmonté un grave problème de santé. Avec Vesdre, il trouve à nouveau les mots justes, sans emphase, avec une pudeur infinie et un respect absolu. C’est aussi le rôle de l’écrivain que de prêter sa plume pour écrire ce que l’on ne sait dire, et quand on y mêle la poésie, cela devient une précieuse poignée d’humanité qui peut donner la force d’affronter le pire et de se relever.

Thierry Detienne

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