Ludivine JOINNOT, Nous vivons encore, Arbre à paroles, coll. « If », 2022, 88 p., 15 €, ISBN : 9782874067174
En ouverture du recueil de Ludivine Joinnot, Nous vivons encore, une phrase extraite de La cloche de détresse de l’écrivaine américaine Sylvia Plath sonne le glas. L’impact d’un gong comme pour mieux accompagner les disparus auxquels s’adresse l’autrice dans la première partie du livre intitulée Faire le deuil. Les proches, quelques poètes compagnons de route se croisent au détour de souvenirs composés avec douceur et nostalgie. Mais la disparition des êtres chers serait-elle synonyme de la fin de l’écriture ? On pense aux carnets de Nathalie Sarraute s’interrompant brusquement à la date de la mort de son mari, au Journal de deuil de Barthes interrogeant en somme l’utilité d’écrire après la mort. Ce serait sans compter le pouvoir de la littérature qui ne cesse jamais de tisser ce lien essentiel reliant mort, deuil et mélancolie. Car pour faire revivre ceux dont la voix s’est tue, pour à nouveau leur donner le mouvement de la danse, l’écriture reste seule capable d’insuffler le rythme, la cadence…
j’écris des cœurs dans l’agenda
à la manière de Sylvia
me rapproche lentement
de l’espoir en continu
les dates resteront cochées aux calendriers
je ne rature pas nos histoires d’avant
ni ne compte les départs ou les recommencements
je ne me répare pas
aux nouveaux rituels ni n’efface l’effleurement
je connais de mémoire la totalité de nos répertoires
le vent se lève, il faut tenter de vivre
je danserai à ta place
afin que tu puisses vivre d’autres vies que la tienne
Ici, Sylvia encore et son destin tragique, sa lucidité fascinante. Et Valéry qui nous exhorte à poursuivre la route même quand la tempête s’annonce. Malgré les cicatrices et les lézardes, il faut vivre encore, vivre et écrire à tout prix. Écrire pour combler les absences, les failles, les lésions qui ont entamé l’espoir mais ne l’ont pas pour autant aboli. L’écriture de Ludivine Joinnot s’attache à « réparer les morts » en suivant les mouvements d’une mer toujours recommencée. L’écriture colmate les interstices, entretient la ruine inévitable pour en faire bastion…
ruines
nous ne sommes que ruines
envers et contre tout
la poursuite viendra d’ailleurs
des visages tendres
comme points d’appui […]
la fracture atteste
après collision
du désordre occasionné
un rendu pour mille jetés
danseurs sur cordes
nous colmatons les brèches
passons toute notre vie à cela
Sisyphes de fortune en salle d’attente
Dans cette ronde, à la fois mélancolique et irradiante, que nous propose l’autrice, c’est le mouvement cyclique des marées et donc de l’écriture qui nous consolera de la mort même si l’on sait que les jeux sont faits d’avance.
Rony Demaeseneer
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