Adeline ROSSION, Michel F. DAVID, et Anne DELREZ, En dilettante. Histoire et petites histoires de la photographie amateur, Musée de la Photographie de Charleroi et Editions du Caïd, 2022, 400 p., 55 €, ISBN : 978-871 83 08 49
Que diable peut bien signifier aujourd’hui le terme de « photographie amateur » ? À l’heure globalisée des selfies omniprésents et des images démultipliées en abondance, l’œil vorace des réseaux sociaux se disperse dans une volatilité sans fin. Tout concourt à ce que, par l’usage exponentiel des téléphones portables et autres appareils pluri-fonctions, soit rendue évidemment « obsolète » cette dénomination de « l’amateur ». N’importe qui de nos jours peut à son gré et en posant le doigt sur quelques touches, non seulement saisir mais aussi communiquer dans des sphères plus ou moins proches ou lointaines, comme on voudra, ces images instantanées, pour le meilleur et pour le pire, d’un instant unique et par essence éphémère.
Mais n’était-ce pas, au début du siècle dernier, ce qu’exprimait déjà l’un des maîtres français de la photographie – héritier éclairé et aisé d’une grande famille bourgeoise, dilettante revendiqué –, Jacques Henri Lartigue, souhaitant « tout conserver » de son existence, mais qui, conscient de cette impossibilité, disait se consoler avec ses photographies, « qui attrapent ce qu’elles peuvent » ?
Et, dans le développement commercial et la démocratisation de la photographie à travers des instruments d’usage toujours plus accessible, n’était-ce pas ce qu’avait bien perçu également en 1888 le patron de Kodak, l’Américain Georges Eastman, avec sa publicité : « Kodak, vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste » ? Slogan auquel répondit en le détournant un livret français rédigé par des praticiens férus de photographie, et soucieux d’en démontrer toute les richesses (et les nécessités) techniques : L’amateur photographe – Qui ne se contente pas de pousser le bouton.
C’est dans ces mouvements dialectiques, à la fois historiques, techniciens, par moments artistiques, et des directions souvent contradictoires, contredites, affinées, réfutées, par des praticiens non-professionnels, que l’on doit appréhender la très belle exposition à propos de la photographie amateur, En dilettante, qui se tient au Musée de la Photographie à Charleroi, et l’imposant livre-catalogue, extrêmement documenté et soigneusement illustré d’images inédites et rares qui l’accompagne. Bien sûr, la nostalgie qui émane de ces images du passé, depuis le dernier quart du 19e siècle jusqu’au milieu des années 1970, un siècle plus tard, n’y est évidemment pas pour rien. Ce « temps retrouvé » que l’on perçoit – sur des papiers imprimés dans des formats et des procédés que l’on a pratiquement oubliés aujourd’hui, des plaques de verre à l’autochrome, du format panoramique à la vue circulaire – sera différent pour chacun.
Question de regard personnel donc, et de plus en plus, au fil des décennies qui s’écoulent, de sensibilité, selon qu’il s’agisse de photographies conservées dans des albums de famille, oubliées dans des greniers, retrouvées sur des brocantes, abandonnées dans des caisses ou vendues au lot, considérés comme ratées et bonnes à jeter, voire complètement anonymisées – jusqu’à ce que, comme récemment pour l’Américaine Vivian Maier (1926-2009), on en découvre soudain toute la qualité, en profondeur des sujets abordés comme en quantité de négatifs, et en ce qui la concerne, développés en petit nombre et jamais montrés de son vivant.
L’histoire de la photographie « en amateur » se confond donc allègrement avec les pratiques diversifiées de ceux et celles qui l’ont approchée. La plupart du temps d’ailleurs, ce sont des hommes, et c’est d’une évidente normalité, puisque la photographie « en dilettante » épouse la répartition des rôles, tâches et loisirs au sein des ménages. Pour monter cette exposition, le Musée de la Photographie et Adeline Rossion, en charge des collections, se sont associés à deux petites mais enthousiastes structures dédiées au genre : La Conserverie, à Metz, également dénommée Conservatoire National de l’Album de Famille, qu’a créée en 2011 l’artiste Anne Delrez, et les Éditions Sur la Banquise, animées depuis 1993 par un autre passionné de littérature et de photographie anonyme, Michel F. David.
Tour à tour et de manière fort cohérente, malgré l’extrême labilité des thématiques, ils livrent dans le catalogue une approche tantôt focalisée sur certains domaines – le développement de la technique des autochromes et l’apparition artistiquement miraculeuse de la couleur, la photographie de et en famille, le portrait biographique annoté, la photographie « ratée »… –, tantôt davantage liée à l’évolution historique de la photographie en tant que témoignage d’une sensibilité artistique. Cela peut se constituer à travers un regroupement de photographes, telle que l’Association belge de photographie rassemblant des amateurs aisés (Raphaël de Sélys Longchamps, Adolphe Lacomblé, Léon Delange… parmi d’autres), voire directement par l’usage et l’influence de la photographie dans une pratique artistique : chez le peintre Émile Fabry par exemple, ou encore chez Henri Evenepoel, dont le sens du cadrage photographique se transmet directement sur certaines de ses toiles, leur conférant ainsi une sensibilité moderniste entièrement nouvelle.
Enfin, au-delà de ces pertinentes considérations historiques, sociologiques et esthétiques, on ne peut qu’être fortement sensibles à l’émotion tangible que peuvent susciter certaines de ces images. Leur naturel, leurs mouvements, leurs éclats, relèvent d’un mystère insaisissable, et parfois d’une naïveté charmeuse ou joueuse, qui valaient bien qu’on les sorte de leur isolement.
Alain Delaunois
En pratique
En dilettante. Histoire et petites histoires de la photographie amateur
Exposition jusqu’au 18 septembre
Mardi-dimanche 10h-18h ; fermé le lundi
Musée de la Photographie
Avenue Paul Pastur, 11 – 6032 Charleroi
Site internet