Si je t’oublie Afghanistan

Daniel Salvatore SCHIFFER, Afghanistan. Chroniques de la Résistance, Samsa, 2022, 105 p., 16 €, ISBN : 978-2-87593-412-3

schiffer afghanistan chroniques de la resistancePréfacé par Ali Maisam Nazary, porte-parole international et délégué aux Affaires étrangères du Front National de la Résistance d’Afghanistan (sous l’autorité d’Ahmad Massoud, fils du commandant Massoud) et par Obaidullah Mahdi, membre du FNR, Afghanistan. Chroniques de la Résistance rassemble les nombreuses tribunes publiques que Daniel Salvatore Schiffer a rédigées dès l’été 2021 lors de la prise de Kaboul par les Talibans et leur retour au pouvoir. Philosophe, essayiste, auteur de nombreux ouvrages sur le dandysme, sur Oscar Wilde, Lord Byron, sur l’esthétique, d’essais politiques (Testament du Kosovo. Journal de guerre ; Ruines de l’Intelligence. Les Intellectuels et la guerre en ex-Yougoslavie ; Requiem pour l’Europe. Zagreb, Belgrade, Sarajevo…), Daniel Salvatore Schiffer interroge la « question afghane » sous une multitude de focales : analyses géopolitiques, appels à la liberté pour le peuple afghan, dénonciations des manœuvres des pays occidentaux et des puissances limitrophes, dessous des cartes de la Realpolitik, désaccords et conflits d’intérêt entre la politique, le politique comme mouvement et l’éthique, l’humanitaire. Les campagnes et les mobilisations aux côtés du Front National de la Résistance d’Afghanistan en faveur de la défense des libertés des citoyens afghans composent la lame de fond de l’ouvrage.

Qu’en est-il de la catégorie de l’infâme en politique ? Opéré dans une débâcle sans nom, le désastreux retrait des troupes américaines entraîne, le 15 août 2021, la chute de l’Afghanistan aux mains des Talibans. La lecture et la recontextualisation des enjeux du retrait que délivre l’auteur pointent la prévalence d’une logique économique et géo-stratégique qui a poussé les États-Unis, l’Union européenne à abandonner le peuple afghan aux Talibans. Pris en otage depuis des décennies par des grandes puissances travaillant à leur suprématie, par des guerres économiques motivées par une même volonté de leadership, les libertés, la culture, les conditions de vie du peuple afghan se voient foulés aux pieds.

L’essai déconstruit les discours dominants propagés par l’Occident, dénonce la façade idéologique d’une défense de la démocratie en péril qui dissimule un cynisme économico-politique. Daniel Salvatore Schiffer rappelle la généalogie des Talibans et de la formation d’Al Qaïda : lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique, afin de vaincre leur ennemi historique, les États-Unis décidèrent, avec le concours des services secrets du Pakistan, d’aider militairement et financièrement les Talibans, un mouvement de fondamentalistes islamistes issus des élèves des écoles religieuses établies au Pakistan. C’est à partir du « tribunal de la conscience » qu’une résistance internationale citoyenne peut se mettre en place et bousculer le mutisme des médias, secouer notre complicité indirecte, passive. La tragédie du peuple afghan est avant tout celle des femmes privées de leurs droits fondamentaux après vingt ans d’avancée, réduites à l’oppression, invisibilisées sous leur burqa, frappées d’inexistence, menacées de mort.

L’Afghanistan, pays réputé indomptable malgré la rivalité de ses diverses composantes tribales, peut bien être certes considéré, d’ancestrale mémoire, comme le fatal cimetière des empires, là même où les successives invasions mongole, britannique, soviétique et américaine se sont lamentablement fracassées dans leur volonté de le diriger, à défaut de le dominer véritablement ; il sera surtout un jour, si nous laissons ainsi sans rien dire le crime s’accomplir jusqu’à son ignoble conclusion, le sévère tribunal de nos consciences, en plus de devenir l’effroyable mais surtout condamnable terreau du terrorisme planétaire. 

La question philosophique d’un équilibre précaire entre deux principes en tension parcourt l’ouvrage : un premier principe inaliénable de défense des droits de l’homme, de soutien à l’auto-détermination des peuples, un second principe qui entend refuser toute ingérence humanitaire. Dans les luttes qu’il mena avec les moujahidines en faveur des libertés de son peuple, de l’égalité entre hommes et femmes, de la justice, dans ses combats contre l’invasion soviétique, contre les Talibans par la suite, le commandant Massoud, dit « le lion du Panshir », n’a cessé de mettre en garde contre un universalisme occidental des droits de l’homme qui, imposant et exportant ses valeurs, détruit les systèmes de pensée, les cultures, les traditions des peuples qu’il entend défendre contre la barbarie, contre les dictatures.

Véronique Bergen

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