D’une prison l’autre

Sylvie GODEFROID, Salsa, Scalde, 2022, 196 p., 20 €, ISBN : 978-2-930988-30-6

godefroid salsaSalsa, le dernier roman de Sylvie Godefroid, s’aligne sur Sophie, victime d’un AVC alors qu’elle rejoignait sa fille, Amandine, au café de la Presse à Bruxelles.

À l’hôpital, tout le monde la croit dans le coma alors qu’elle est enfermée dans son corps (locked in syndrome). Consciente, elle s’adresse silencieusement à sa fille et lui annonce, notamment, la raison de leur rendez-vous ce matin-là : son intention de quitter la Belgique pour rejoindre son amant, Luis, à Cuba où elle compte s’installer définitivement.

Au départ, quand on lit Salsa, on a le sentiment d’être immergé dans l’histoire de Sophie, quinquagénaire fatiguée de sa vie de bourgeoise, en quête d’un émoustillement du corps et des sens.

Tout nous pousse à penser que Sophie profite de son état pour se confier à sa fille de 25 ans, lui retracer son parcours, revenir sur cette éducation rigide qui l’a longtemps corsetée. 

Dis-leur que j’ai grandi comme une orchidée, j’ai poussé le long d’un tuteur qui m’a toujours maintenue dans l’axe de ce que les autres attendaient de moi. S’ils prenaient le temps de m’ausculter avec délicatesse, ils se rendraient compte que je suis une fleur qui surprend, étonne et qui, parfois, ravit. Dis-leur que je n’ai pas eu de chance avec les hommes. Je n’en ai d’ailleurs pas connu beaucoup ; ma mère m’avait toujours dit de m’en méfier. Mes robes, je les porte proches du corps, mais jamais moulées, un rien au-dessus du genou. Mon maquillage se propose discret. Je suis agréable à regarder mais jamais jolie. Je n’oserais pas. 

Sauf qu’à y regarder de plus près, nos convictions de lectrice vacillent. C’est qu’il y a ces inserts, assez tôt dans le récit, dont on ne comprend pas tout de suite ce qu’ils viennent faire là… Des extraits de chroniques judiciaires d’un procès en assise dont l’ouverture est imminente. Puis l’on comprend à demi-mot que nous ne voyons peut-être qu’un seul côté des choses (pour faire écho à la citation de V. Hugo, en exergue de ce livre) et que cette histoire est bien plus complexe qu’il n’y parait, qu’elle recèle, même, de nombreux tiroirs et que les protagonistes ne sont peut-être pas ceux qu’ils prétendent être.

Qui est Amandine, par exemple, la prétendue fille de Sophie ?

Et Georges ? Est-ce sa meilleure amie comme le prétend Sophie ou son mari retrouvé mort ?

Et Marc Mouradi est-il neurochirurgien ou se peut-il qu’il soit plutôt avocat ?

Au fil des pages, on découvre Sophie dans un autre genre d’enfermement : la prison où elle est dans l’attente de son procès et où elle a tout le temps pour inventer.

Quelle histoire nous raconte Sophie ? Une vie rêvée ? Ses fantasmes ? Mais quelle vérité quand on raconte, quand on se raconte ?

À moins que cette affabulation ne soit là que pour mieux se libérer, s’émanciper ? Car il est bien question de trajectoire de femme dans ce récit aux nombreux niveaux de lecture. Une femme qui, quel que soit le fil narratif déroulé, se voit toujours rattrapée par la solitude et l’enfermement.

L’autrice (à moins que ce ne soit la narratrice ?) a beau se jouer de nous, elle offre à Sophie une place d’où elle peut prendre la parole, s’affirmer, et qui sait, s’affranchir pour enfin décider de la tournure de sa vie. Pour que l’on n’ait plus à se demander : n’y a-t-il aucune possibilité d’affranchissement pour les femmes, que la folie ou l’AVC ?

Affranchis-toi du carcan de ton patrimoine génétique ! Essaye. L’être humain ne se départit pas d’un tel héritage comme une main experte dépoussière une étagère. Refuse ce postulat. Émancipe-toi ! Tant d’histoires jamais racontées obstruent mes méninges ! Je ne t’ai pas menti sur la vie, j’ai pris certaines libertés. J’ai occulté des travers humains pour te protéger.

Amélie Dewez

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