Marie-Louise HAUMONT, Le trajet, Postface de Daniel Laroche, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 398 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-569-8
Initialement paru en 1976 aux éditions Gallimard, le roman Le trajet de Marie-Louise Haumont (récompensé alors par le prix Femina) est aujourd’hui réédité dans la collection Espace Nord et assorti d’une postface de Daniel Laroche. Née en 1919 et décédée en 2012, Marie-Louise Haumont, écrivaine belge, reste encore peu connue dans nos contrées, en raison sans doute, comme l’explique le postfacier, de la production littéraire « peu variée et quantitativement modeste » de celle-ci.
Je vivais dans l’avenir comme les vieillards vivent dans le passé, mais le passé ne laisse aucune place à l’inconnu tandis que moi j’étais sans cesse à la croisée des chemins, m’engageant dans l’un, puis dans l’autre, essayant, brouillonnant, effaçant pour trouver mieux […]. J’étais, au propre, maîtresse de mon sort et gouvernante du destin de tous les personnages qui partageaient mon existence secondaire.
S’inscrivant dans la veine du Nouveau Roman et du réalisme social, ce roman raconte les aventures (si tant est qu’on puisse en l’occurrence parler d’aventures) d’une héroïne qui mène, de prime abord, une vie monotone, assez « métro-boulot-dodo ». Elle prend l’autocar chaque jour pour se rendre à son travail, se perd au cours du trajet dans ses rêveries, dans ses observations. Son quotidien, réglé comme une horloge, laisse peu de place à l’inconnu, à la surprise, à l’instar de la vie de couple qu’elle partage avec son mari Pascal (qui fait davantage partie du décor qu’il n’assume un véritable rôle de partenaire). Dans cette répétition du quotidien, dans le train-train de sa vie, dans ses déplacements qui la mènent d’un point A à un point B, d’une fiche archivistique à l’autre, chaque micro-événement qui survient dans l’esprit ou dans la vie de l’héroïne, comme un « placard entrebâillé », se double d’une forme d’angoisse.
Sa vie prend lentement une toute autre tournure dès lors qu’une voix – « tu n’as pas vingt ans » – se fait de plus en plus insistante dans son esprit à force de ruminations. L’héroïne, certainement atteinte de « bovarysme » comme l’évoque Daniel Laroche dans la postface du roman, laisse peu à peu la place au surgissement de l’imprévu dans sa vie, jusque dans son énonciation même. Ainsi se rappelle-t-elle ses lectures et le personnage de D’Artagnan dont elle est amoureuse, ainsi devient-elle obsédée par un aralia, décèle dans une fleur tous les signes d’une tromperie, comme le jaloux proustien échafaude des théories à partir du moindre détail et de sa récurrence.
Au fond, qu’est-ce que ce roman soulève, outre l’apparente insignifiance de son sujet, d’une vie monotone où la femme semble s’ennuyer, où l’homme est fiché au registre des absents ? Justement, au travers de la narration qui offre un point de vue exclusivement féminin, le roman creuse ce premier abord et s’en écarte, s’inscrit dans la voie d’un certain féminisme. Le livre s’aligne sur les mutations sociétales de l’époque. Il s’ancre non seulement dans la veine du Nouveau Roman, mais il vient aussi, suite à l’impulsion donnée par une Simone de Beauvoir par exemple, défaire les clichés du patriarcat. En effet, l’héroïne n’a rien d’une protagoniste passive comme l’on pourrait s’y attendre. La collection Espace Nord nous donne l’occasion de (re)lire Marie-Louise Haumont, une autrice dont l’écriture résonne aujourd’hui tout en poursuivant son trajet.
Charline Lambert