La meuf au bout du village

Un coup de cœur du Carnet

Clara LODEWICK, Merel, Dupuis, coll. « Les Ondes Marcinelle», 2022, 160 p., 24 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 979-10-347-6268-2

Lodewick MerelLa couverture du premier livre de Clara Lodewick attire. Petite maison en lisière de forêt, couleurs profondes, ciel lourd et canards joyeux qui nous invitent à les suivre. On entrerait avec Merel dans sa maison pour éviter la drache, boire un café, papoter au calme. Cependant, l’agitation est palpable dès l’ouverture de l’album et avant même la page de garde : les habitants se dépêchent, il se passe enfin quelque chose au village. Ils traversent les flaques de boue et les champs où paissent des chevaux de trait sous un ciel résolument bas. Belgique profonde et agricole, sans doute celle de l’ouest où l’on parle flamand mais aussi, pour certains, français.

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Pas besoin de patronymes pour désigner les primés de la 45e foire avicole : Lars, Alexis et Marteen se connaissent et se reconnaissent depuis toujours. Enfants, ils jouent dans les mêmes ruisseaux, se rencontrent autour des mêmes bancs pour fumer leurs premières cigarettes et tisser les relations qui les mèneront droit à l’église du village où ils se marieront avec Fabienne ou Dorien, et où ils reviendront une dernière fois avant d’être allongés au cimetière à côté de ceux qu’ils ont bien connus. Existence paisible, sans histoire, dont la simplicité plait à Merel dans sa maison du bout du village, entre ses canards, son jeune amant, son boulot de journaliste sportive au journal local et les bières partagées au bar du village. Sans histoire, donc, sa vie libre et heureuse.

« Finn » aurait pu partager avec Merel le titre de cet album parce qu’en alternance et simultanément à son histoire à elle, Clara Lodewick raconte celle de ce jeune garçon de 9 ou 10 ans, témoin forcé du déclin du couple parental : l’indifférence de l’un, le désespoir de l’autre, la méchanceté des deux. À force de battre de l’aile, par effet papillon, le couple est à l’origine d’une rumeur aux conséquences que les modérés et les repentis ne pourront plus contenir. Merel sera sacrifiée au nom de l’ennui rural et du danger que représente son indépendance. Il y aura des victimes collatérales à cette chasse à la sorcière menée par les habitants de tous les sexes et de toutes les générations. Il restera alors au personnage la possibilité de se venger des humiliations reçues (on pense à Grace, dans Dogville de Lars Von Trier, par exemple) et/ou celle de pardonner. De se reconstruire en restant ou en laissant l’endroit qu’elle connait si bien, les villageois qu’elle a toujours côtoyés et qu’elle n’a jamais imaginé quitter.

Dans son premier album, réalisé au stylo bille et à la gouache, Clara Lodewick ne juge pas ses personnages. Elle met en lumière les mécanismes propres au harcèlement et s’efface totalement pour que s’expriment les destins, individuels et collectifs. Ouvrage qui inaugure la collection de romans graphiques « Les Ondes Marcinelle » des éditions Dupuis, Merel est un album brillant, parfaitement maîtrisé d’un point de vue stylistique et scénaristique. Nul doute qu’il y aura encore de nombreuses réactions enthousiastes à son sujet.  

Violaine Gréant

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