Un coup de cœur du Carnet
Tristan ALLEMAN, Même les pierres, Traverse, 2022, 208 p., 17 €, ISBN : 978-2-93078-341-3
Ce sont les quatre éléments, ceux en qui les Antiques voyaient l’origine de l’univers, qui mènent la ronde de ce recueil de nouvelles. L’auteur les y convie en de brefs récits qui s’inscrivent pleinement dans notre modernité. Les personnages qui apparaissent au fil des pages évoluent sous leur empire et sont parfois à leur merci. L’évocation des forces qui étaient invoquées jadis pour décrire la composition de notre monde trouve ici une déclinaison placée sous le signe de la variété.
Voici un jeune homme fasciné par les volcans qui entraîne sa belle dans l’ascension d’un cratère brûlant pour lui délivrer un message essentiel. Là, un père accompagne vers l’eau son fils dont la morphologie présente des branchies et qui ondule de plaisir dans un aquarium géant. Là, plus loin, une femme enceinte se rend chez son gynécologue et elle aperçoit l’enfant à naître, dont elle ne veut pas connaître le sexe, qui évolue dans l’univers liquide de son ventre. Dans les airs, deux funambules énamourés évoluent l’un vers l’autre, pour une étreinte qu’ils savent impossible, à la merci du vent et des mouvements créés par leurs déplacements. Ailleurs, un vieux mineur sicilien rongé par la silicose rassemble ce qui lui reste de souffle et revient à Marcinelle pour une cérémonie commémorative organisée sur le site du drame du charbonnage du Bois du Cazier. Et voici qu’un enfant fasciné par le chromatisme de l’arc-en-ciel s’assied au pied des couleurs, que passe la nuit et qu’il demeure dans l’émerveillement jusqu’à l’aube qui ranime le spectacle. Ou encore une petite fille goûte la terre, comme le lui avait appris son grand-père. Sans oublier cette statuette de terre qui s’anime soudainement. Mais il y a plus encore à découvrir …
Rassemblés en quatre parties selon l’élément qui les relie, les dix-neuf textes qui composent le recueil sont autant d’univers singuliers qui mettent volontiers un pied dans l’extraordinaire. Ils ont cependant en commun d’être traversés par une forme de magnétisme qui relie les personnages au tout de l’univers. Leur élément de prédilection leur offre aussi le chemin le plus court vers leur moi profond, et il définit leur rapport au monde, dans une forme de fusion fondatrice. Les activités qu’ils développent sont le plus souvent une manière de s’en rapprocher et de développer une sensibilité particulière qui les sort du lot commun.
Avec Même les pierres, Tristan Alleman nous offre de petits contes élémentaires portés par une écriture tout à la fois sobre et riche qui puise dans des registres divers et dont la charge poétique et ludique est évidente. Tout ceci explique sans doute pourquoi la lecture de ce recueil opère comme une forme d’envoûtement dont on ressort un rien ébouriffé, tout empli de mystère et de mots. Et l’on se dit la dernière page tournée que l’on tient là un petit chef-d’œuvre.
Thierry Detienne