Tatiana GERKENS, Incandescence, Bleu d’encre, 2022, 12 €, ISBN : 978-2-930725-53-6
Ma dernière cendre sera plus chaude que leurs vie… Ce premier exergue ouvre le recueil Incandescence de Tatiana Gerkens, que publie Bleu d’encre, la belle maison d’édition de poésie et textes courts dont Claude Donnay a fait le prolongement de la revue éponyme qu’il créa en 1999. Presque un quart de siècle déjà d’une attention constante et attentive à la création poétique.
Balise annonçant, avant la traversée de la lecture, l’intensité des pages à venir, l’exergue est extrait des confessions de Marina Tsvetaïeva réunies sous le titre Vivre avec le feu, à partir des notes et carnets que la poétesse russe n’a jamais cessé d’écrire, malgré les pires conditions d’une existence tragique qu’achèvera un suicide.
L’incandescence est ici celle d’une passion amoureuse, flamboyante et charnelle, celle qui s’empare dès le premier texte de la poète/narratrice qui s’abandonne au vœu d’ (…) être un homme / pour boire une femme jusqu’à la déchirure (…) vendanger le sauvage / de ses chairs écloses/ et <se> noyer dans son incandescence / silencieuse.
À partir de ce transfert du regard et des sensations, l’autrice ouvre à toutes volées l’exaltation de la sensualité exacerbée par la passion, confondue entre les sexes indifférenciés entrelacés dans un même souffle. Le recueil, à chacun des textes qu’il donne à lire, démontre les puissances d’évocation de la poésie qui est, chez Gerkens, mouvement et chant, ardeur et contemplation, adressés à une terre à prendre / un sexe à dévorer / deux corps à faire gicler.
Les mots sont exaltés à l’image de ce qu’ils convoquent dans le phrasé haletant du feu du langage auquel la poète s’offre ouverte et primitive / (…) / sans compromis / violente / brutale. Le sang, le sexe, le désir, se déploient sous les doigts de celle qui s’enjoint : N’écris pas sans rien risquer / Écris comme on caresse une proie / avec une faim sauvage. La volupté et les orgasmes, nourrissent la chair secrète des mots dont Gerkens chante la délivrance par le feu / la fièvre.
La poésie fait éclater les carapaces menteuses. Le vertige sensuel est Éblouissement des corps / Jouissance lactée.
Le récit que tissent les poèmes, s’il fallait l’identifier, est celui de la passion qui étreint les amants, depuis le surgissement de celle-ci jusqu’à son extinction désespérante, jusqu’à l’absence de l’autre : Ton absence / est une palpitation frénétique / dans ma gueule de chatte affamée. Mais l’amante appelle à la renaissance de la passion, qui se répéterait sans fin, se languit de l’entaille invisible du cœur / à l’instant de renaître. Il n’est d’amour vrai qui ne soit passion ; il n’est de vie qui ne soit amour. (…) Je mettrai le feu / à tout ce qui nous retient / de vivre s’exclame celle qui ajoute : je hurle cet amour / dont tu refuses l’évidence.
C’est ce que semble nous dire Gerkens, achevant le recueil par cet engagement qui surgit comme l’écho de l’exergue évoqué plus haut : Demain je mettrai le feu / à tout ce qui nous retient / de vivre.
Le titre, Incandescence, idéalement choisi pour cerner d’un mot la puissance dévastatrice de l’étreinte passionnée des êtres, définirait avec justesse ce qui donne à la poésie cet assemblage fulgurant dont elle est faite ici : alliage entre les corps, le feu et la lumière qui en irradie. Tatiana Gerkens éclaire ainsi d’un flamboiement vertigineux le second exergue qu’elle a choisi de placer au fronton de son chant, un questionnement extrême formulé par Alejandra Pizarnik, la poétesse argentine qui, comme Tsvetaïeva, mit fin à ses jours: Comment puis-je me sortir les veines et en faire une échelle pour fuir à travers la nuit ?
Pour y répondre, il faudrait s’interroger sur la portée des deux derniers vers du recueil et deviner s’il y eut renaissance ou s’il faut refuser désormais / L’offrande assassine du baiser.
Cette chronique ne serait pas complète si elle ne saluait la force de l’illustration ornant la couverture, une encre de Stéphane Lejeune.
Jean Jauniaux