La vie en rebonds, malgré tout

Stéphanie MANGEZ, Dernières escale avant la lune, Quadrature, 2022, 108 p., 16 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782931080283

mangez derniere escale avant la luneIl est des jours où l’on est porté à croire que les genres de la nouvelle et du roman n’ont jamais été aussi proches qu’ils ne le sont aujourd’hui. Des romanciers nous livrent des récits juxtaposés, guidés par leur économie propre, lisibles séparément,  alors que des nouvellistes prennent soin de nous offrir des recueils dont les textes sont savamment reliés, voire animés de personnages ou de faits communs. Dans tous les cas, l’on perçoit que la tension qui anime les supports visuels et les canaux de communication modernes gagne aussi une partie de la production littéraire, avec des effets de qualité inégale. Cela se manifeste dans la dynamique des textes, le souci de l’accroche, l’attention donnée au plaisir de la lecture qui trouvent une terreau de choix dans l’univers de la nouvelle.

Dernière escale avant la lune nous offre des fictions brèves et indépendantes. Mais les protagonistes, le plus souvent des femmes, ont en commun d’être aux prises avec la vie. Qu’elles soient sous la coupe d’un homme, qu’ils soient coincés dans un rôle qui ne leur convient pas, malmenés par les événements, poussés à faire ce qu’ils ne veulent pas faire, elles et ils sont traversés par un sursaut et prennent leur destin en mains.  Affrontent, esquivent, ou optent pour la fuite selon les cas et les rapports de forces. Et ce rebond, dont ils sont parfois les premiers surpris,  leur procure une forme de joie qui laisse penser que les voici désormais portés plus avant.

Avec 17 séquences sur une centaine des pages, le recueil nous entraîne dans des univers bien distincts : nous sillonnons le monde, de l’Europe à l’Afrique en passant par Hong Kong et Fukushima, nous nous glissons dans des relations de travail, dans l’intimité des couples, dans les foules qui se pressent. À chaque fois, la magie joue : en quelques phrases à peine, l’autrice nous inclut dans une histoire nouvelle, les hommes et femmes croisés nous deviennent familiers, nous sommes au nœud des tensions qui les habitent. Le temps de les voir grandir sous nos yeux, ils nous laissent et sont déjà ailleurs, sans que nous ressentions le besoin de les retenir. Mais leur présence forte ne nous quitte pas pour autant : ainsi en est-il de Claire, enceinte, qui vient d’apprendre que le fœtus qu’elle porte est privé de cerveau et qui se rend malgré tout chez son père qui a refait sa vie et qui annonce tout de go que sa jeune fiancée, de trente ans sa cadette, attend famille.

Stéphanie Mangez nous vient du monde du théâtre (elle est comédienne et autrice de plusieurs pièces publiées et remarquées) et cela se perçoit. La mise en scène est soignée, précise, et les dialogues tirés au cordeau sont d’une rare justesse, ce qui n’est guère si fréquent. Ajoutez à ceci une écriture vive, ludique et pimentée d’humour bien senti et vous comprendrez que les ingrédients sont réunis pour que tenions en mains une œuvre pleine de charme. Et que nous nous réjouissions de voir venir d’autres œuvres sous la même signature.

Thierry Detienne

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