Plongée dans les pensées, du présent et du passé

Un coup de cœur du Carnet

Myriam LEROY, Le mystère de la femme sans tête, Seuil, 2023, 285 p., 19,5 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-02-151576-3

leroy le mystere de la femme sans teteFin 2020, sur la pelouse d’honneur de la Seconde Guerre mondiale du cimetière d’Ixelles, Myriam Leroy, journaliste et écrivaine, découvre Marina Chafroff, un nom de femme au milieu de prénoms exclusivement masculins. Mais ce qui l’interpelle le plus, c’est le participe passé qui résume sa fin tragique, ce mot qui fait froid dans le dos, jeté sans ménagement au visage des visiteurs du lieu de mémoire : « DÉCAPITÉE ».

Fruit du hasard, œuvre du destin ou carrément de forces occultes guidées depuis l’au-delà par la défunte, qu’importe, la rencontre est décisive. C’est le début d’une enquête pour la journaliste, le sujet d’un roman pour l’écrivaine. Et pour que l’imagination de celle-ci n’altère en rien la rigueur de celle-là (et inversement), les lecteurs auront accès aux deux facettes de la rédaction. Ils suivront les aventures de Marina, à travers événements historiques et anecdotes inventées pour les besoins du récit ; ainsi que l’enquête de Myriam Leroy, entre recherches et rencontres, faits passés et résonances actuelles, découvertes et questionnements livrés à la deuxième personne. En se parlant à elle-même, l’autrice donne subtilement accès à ses intuitions, ses réflexions, ses doutes, prenant le recul nécessaire à la critique historique et évitant de se positionner en détentrice d’une vérité absolue et incontestable.

Plus tu remues le passé, plus tu comprends que ce qu’on appelle vérité est la version du dernier qui a parlé. Et que le dernier qui a parlé est généralement un militant, car le militant a ce muscle, cette énergie, celle de revenir sur les lieux que l’on croyait désertés pour y inscrire sa pensée et faire murmurer les reliques.
Dans le cas de Marina, il se pourrait que pour quelques années, cette personne, ce petit ventriloque endurant, vive dans tes chaussures et soit affligé de ta myopie. 

Présentant un habile dialogue entre passé et présent, le livre captive à plus d’un titre. On ressent dès les premières pages le désir avide d’apprendre qui est Marina, cette héroïne au physique enfantin, sans grandes ambitions, aux influences familiales diverses ; ce qu’elle a fait ; les raisons qui l’ont motivées. On apprécie également les faits et détails historiques sur la Russie du début du 20e siècle et le Bruxelles des années 1940. Néanmoins, on n’est nullement frustrés par les retours à notre époque, les parallèles qui sont établis, notamment au sujet de la place des femmes dans la société mais pas uniquement. On conserve la même curiosité pour le destin de la résistante que pour le chemin qui nous permet de l’appréhender et ce, au-delà même de la lecture. D’une certaine façon, Le mystère de la femme sans tête n’est pas tant un roman qui se lit qu’un texte qui se vit. On referme l’ouvrage avec l’envie, voire le besoin, de voir certains documents de ses propres yeux, d’aller plus loin tout simplement. L’autrice l’avait sans doute pressenti, car on peut d’ores et déjà retrouver la fascinante femme sans tête et quelques autres figures marquantes de son histoire, dans un podcast en huit épisodes, qu’elle a créé avec Valentine Penders : La poupée russe.

Estelle Piraux

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