Jacinthe MAZZOCCHETTI, En écorches, ill. Helena Da Silva Casquilho, Chat polaire, 2022, 122 p., 16 €, ISBN : 978-2-931028-22-3
Jacinthe Mazzocchetti publie pour la première fois aux éditions du Chat polaire un recueil de poèmes intitulé En écorches. Le recueil, illustré à l’encre de Chine par Helena Da Silva Casquilho, aborde de nombreux sujets de société qui reviennent à la manière de ritournelles, d’un vers à l’autre ou d’un poème à l’autre, se nourrissant les uns les autres afin de transcrire avec le plus de limpidité possible les pensées et positions idéologiques de la poétesse. Au fil des strophes, il sera ainsi question du consumérisme, de l’absurdité et de l’hypocrisie occidentales ; de l’immigration, du tiers monde, de la guerre, des injustices et des violences faites aux femmes ; de l’écriture et de la mémoire.
Très souvent, le monde occidental est confronté aux populations qu’il exploite ou qu’il ignore (« […] Il n’y a pas de place ici pour vous ni pour aucun de vos/semblables/Que les richesses de vos terres soient le rouage de notre/économie […] »). En miroir – que ce soit à l’intérieur d’un même poème ou du recueil tout entier – ces deux réalités permettent à l’autrice de poser la question du sens et de la responsabilité. Par des réalités parallèles, elle tente d’éveiller les consciences aux déséquilibres et aux inégalités :
Je lève la tête
Le ciel est rouge
D’un soleil en éveil
Je lève la tête
Le ciel est rouge
Des bombes qui se déversent
Bruxelles
Alep
Dès la quatrième de couverture, la poétesse signale la dimension frontalement engagée de son travail, associant la parole aux actes en affirmant dans sa toute première strophe « faire acte de parole comme on fait acte de présence ». Par cette association, la pratique de l’écriture devient un enjeu fondamental – et peut-être même une condition – de l’engagement tel que le conçoit Jacinthe Mazzocchetti :
Faire acte de parole comme on fait acte de présence
Poser les mots
Mots qui s’esquivent
Qui s’effilochent
Prennent leurs envols
Et se nichent au creux des rares temps morts
D’une vie par excès
Par son acte de parole, elle tente de briser le silence qui rendrait l’exploitation de l’homme possible et qui pousserait au repli de chacun sur ses propres privilèges :
[…]
Ce silence salutaire
Salut militaire
Chacun à sa place
En rang
Dans le rang
Que rien ne dépasse
Tomber les barricades
Barbelés intérieurs
Fissure
[…]
Mêlant la question de l’écriture à celle de l’engagement, la poétesse propose un ensemble très cohérent de poèmes – nous irions presque jusqu’à dire un corps – où chaque sujet de société abordé trouve sa place. Les illustrations d’Helena Da Silva Casquilho, aux traits fins et en simplicité, en nourrissent l’imaginaire volontiers pessimiste, écorché.
Toutefois, il arrive dans le recueil que la volonté d’engagement de la poétesse nuise à l’expression poétique. Dénonçant, accusant et épinglant, Jacinthe Mazzocchetti donne parfois l’impression de produire une prose éclatée en vers plutôt que de purs vers libres où le langage s’éveille et se révèle. Limpide et franche dans ses idées, Jacinthe Mazzocchetti réussit néanmoins le pari qu’elle s’était lancé : celui de trouver les mots et de briser le mur du silence pour engager sa poésie sur le chemin des droits de l’Homme.
Camille Tonelli