Migrations intérieures

Un coup de cœur du Carnet

François EMMANUEL, Le cercle des oiseleurs, Impressions nouvelles, 2022, 304 p., 20 €, ISBN : 978-2-39070-010-4

emmanuel le cercle des oiseleursUn titre énigmatique, assorti d’une couverture attrayante : il ne nous en faut parfois pas davantage pour prendre en mains un roman et le feuilleter, mus par l’envie d’en savoir plus. La patience est cependant ici de mise, comme elle s’impose au personnage principal dont nous emboitons le pas. Léo Vogels (!) est employé dans une société dont l’activité, aux contours incertains, repose sur des procédures strictes et nécessite des réunions régulières où il est bon de parsemer régulièrement les propos que l’on tient de termes empruntés au marketing moderne. Dans cet univers où les rapports de force tout à la fois brutaux et feutrés régissent les relations, Léo évolue sur la pointe des pieds, avec le principal souci de rédiger le procès-verbal de la réunion à laquelle il assiste. Il vient de fêter le départ à la retraite de son collègue Charlie Mutzinger dont le bureau était proche du sien. Cet homme, avec lequel il conversait d’ordinaire, est resté un mystère pour lui.

À plus d’une reprise, le retraité lui a tenu des propos énigmatiques dans lesquels il est question d’un cercle des oiseleurs, de menaces pour les volatiles. Lors des réunions, Léo tombe sous le charme de Jara, qui assure le service des boissons. Son français incertain et coloré n’y est pas pour rien. À sa grande surprise, elle lui glisse un billet lui donnant rendez-vous et elle lui parle de Charlie, d’une dette énorme contractée vis-à-vis d’un de ses compatriotes qui se montre menaçant. Nous comprenons vite qu’il s’agit d’un trafic d’oiseaux protégés.

Léo accepte de se mettre en recherche de son collègue et se présente à son domicile transformé en volière géante. Il le trouve diminué, confus sous l’effet de l’alcool, mais plus passionné et affectueux que jamais. Le jeune homme est entraîné à sa suite dans une forme de virée initiatique largement arrosée et il jette le gant au cours de la nuit, laissant Charlie poursuivre ses libations et déambulations. Lorsqu’il apprend le décès cette même nuit de son ami et qu’il est interrogé par la police, Léo décide de mener lui-même l’enquête, ne fût-ce que pour enfin en savoir plus sur Le cercle des oiseleurs. S’ensuivront une série de péripéties épiques qui ne lui apporteront aucune certitude sur les circonstances précises de la mort de son ami. Quant à la question des activités exactes de cette société, il aura grand peine à obtenir des réponses, ses interlocuteurs le renvoyant le plus souvent à lui-même.

On l’aura compris, François Emmanuel ne nous livre pas ici un traité d’ornithologie. Comme à l’ordinaire, c’est de la condition humaine qu’il nous entretient, sous toutes ses formes. Sans surprise, il le fait avec élégance, dans une prose poétique et avec une sensibilité infinie qui font le charme de ce récit palpitant. Le mystère, ce mot dont il aime nous entretenir, c’est bien celui des relations humaines, de l’amour et de l’amitié tout autant que de notre connexion au monde. Dans l’aventure humaine, le lien que nous tissons avec les oiseaux, ces êtres que l’on ne prend qu’avec mépris, s’apparente à une forme d’intériorité, celle qui nous permet de vivre pleinement, celle du l’instant qui se joue. D’ailleurs, à bien y réfléchir, nous étions prévenus. En effet, la définition du mot « oiseleur », qu’il nous donne dans les pages liminaires, mentionne aussi, outre celles de l’usage courant : « Celui qui a liaison avec l’oiseau ». Tout un programme …

Thierry Detienne

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