Les vies du bord de mère

Emmanuelle POL, Les bracelets d’amour, Finitude, 2023, 128 p., 15 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782363391834

pol les bracelets d'amourSublimée, célébrée, sanctifiée et toujours mystifiée dans la plupart des cultures, la maternité est une expérience étrange et singulière qui, faut-il le rappeler,  ne saurait se résumer aux images doucereuses qui l’entourent. Voici un recueil de nouvelles qui en dessine les paradoxes, qu’on l’envisage sous l’angle de la mère elle-même, de ses enfants ou de son conjoint. Le premier texte, « Les bracelets d’amour », qui offre son titre au volume, donne le ton : une jeune femme est face à son enfant et elle est engloutie par sa maternité dans laquelle elle est recluse. Ce petit être envahissant prend le pouvoir, dicte ses horaires, envahit l’espace de ses cris, l’air de ses odeurs, les nuits de ses pleurs, l’esprit de ses besoins indéchiffrables. Assez pour que la submerge une forme de désespoir qui entame son désir de vivre :

D’ici quelques heures, l’homme rentrera, fringant, fleurant bon l’eau de Cologne et l’extérieur, tandis qu’elle sera là, minable, grossie, idiote, dans les décombres du petit-déjeuner et les odeurs de lait rance.

Pour n’être pas en reste, dans « La mante religieuse », l’autrice convoque un père de plus en plus isolé à côté de sa femme et de leurs enfants : elle leur donne tout, il en est réduit à son rôle de reproducteur et de pourvoyeur de fonds tout en étant prié de suivre le programme fixé. Avec le sentiment « d’en avoir pris pour vingt ans », de ne plus exister, de n’avoir plus que le travail pour refuge, il se prend à méditer cette information : « En France, chaque année, le Ministère de l’Intérieur enregistre la disparition inquiétante de 10.000 personnes » avant que la sonnerie de son téléphone retentisse et qu’elle lui demande où il traîne.

Au-delà de ces deux textes qui semblent se répondre, d’autres s’affirment en échos subtils. Le mari d’une écrivaine célèbre décédée livre ses souvenirs d’homme de l’ombre, d’arrière-fond, toujours à portée de regard, fasciné par ses seins. Ou ces femmes qui se réunissent toutes générations confondues dans des bains publics le jour où l’entrée est interdite aux hommes et qui développent une complicité sans faille. Sans oublier le portrait de celle, jeune encore, qui apprend que la ménopause est déjà là et que ses collègues qualifient de fruit sec. D’autres récits trouvent leur place qui font la part belle aux liens entre enfants et parents, à la vie qui approche de son terme et qui croise celle qui s’élance.

Emmanuelle Pol n’en est pas à son coup d’essai et ses livres précédents n’ont laissé personne indifférent. Et pour cause : de sa plume vive, elle fait mouche dans ces fables aux accents plus vrais que vrais, nous tendant un miroir dans lequel nous croisons tôt ou tard notre propre visage. Ne ménageant personne, elle met bas les masques, avec un mélange de mordant et d’humour qui peut se permettre de tout dire sans agacer.  

Thierry Detienne

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