Un coup de cœur du Carnet
Gabriel RINGLET, La blessure et la grâce, Albin Michel, 2023, 277 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-226-48152-8
L’épigraphe de la pianiste Hélène Grimaud qui ouvre le nouvel opus de Gabriel Ringlet donne une clé de lecture de l’optique de cet essai : « Nous sommes toutes et tous blessés. Personne n’échappe au tragique de l’existence. La seule différence est peut-être que l’artiste a davantage conscience de cette blessure, qu’il refuse de s’en accommoder, qu’il en fait une grâce. »
C’est Jésus, celui qui, par excellence, s’est fait vulnérable, s’est laisser blesser et en a fait une grâce qui est le fil conducteur de tout l’ouvrage. Au premier siècle de notre ère, sa vie, son œuvre ont donné naissance, sous la plume des ses disciples, à un nouveau genre littéraire, celui des évangiles, littéralement, l’annonce d’une bonne nouvelle. Et voilà que 2.000 ans plus tard, Gabriel Ringlet, avec tout le talent d’écrivain qu’on lui connaît – et d’exégète qu’on lui connaît peut-être moins – renouvelle le genre et nous offre une « toujours-bonne-nouvelle », un peu comme Teilhard de Chardin avait écrit sa Messe sur le monde en 1923. Les re-lectures de passages d’évangiles se font parfois paraphrases, souvent éclairage, toujours dialogue avec notre époque, avec nos vies, avec des œuvres littéraires de notre siècle. Le lecteur n’est pas surpris de trouver des extraits de Sylvie Germain, de Jean Sulivan, Jean Grosjean et quelques autres … Mais on découvre aussi comment Par les villages de Peter Handke (1983) entre en convergence avec l’envoi en mission des disciples sur les chemins de Judée, par deux et sans rien. Et qui s’attendrait à trouver Angèle et son Balance ton quoi ou le Papaoutai de Stromae comme éclaireurs de la bonne nouvelle ? Il fallait y penser mais, oui, vraiment, lire que « Tout le monde sait comment faire des bébés / Mais personne ne sait comment on fait des papas » illumine aussi bien les doutes de Joseph lors de l’annonciation que la déréliction de Jésus sur la croix.
La structure générale La blessure et la grâce suit le parcours global des quatre évangiles, en partant des récits d’annonciation et de naissance, pour continuer avec l’appel des disciples, les sections de guérisons, de paraboles, les enseignements de Jésus avant d’aboutir à la passion et la résurrection.
À l’intérieur des grandes sections, les chapitres sont courts : l’évocation ou le récit d’une scène d’évangile, un texte contemporain en résonance, ou une anecdote vécue, un commentaire sur le vocabulaire biblique ou un rapprochement avec l’actualité…. Et l’essentiel est dit ; il n’y a plus qu’à le bercer dans son cœur.
Tout cela – la blessure, la grâce, le tragique de la vie, la poésie – est bien loin du monde actuel où tout – marketing, publicité, pensée dite positive, coachings en tous genres mais toujours payants – survalorise l’humain heureux (obligatoirement heureux), épanoui (forcément épanoui) grâce à tout ce qu’il pourra/devra acheter, consommer, maîtriser…
Et justement, ce changement d’angle fait un bien fou, comme un retour à notre vérité profonde, comme une boisson rare à savourer à petites gorgées pour en garder longtemps le goût en bouche.
Marguerite Roman
Plus d’information
À la Foire du livre 2023
- Gabriel Ringlet en dédicace à la Foire du livre 2023 : le 2 avril de 14h à 16h et de 17h à 18h30 sur le stand 127 (Shed 1).