Guy GOFFETTE, L’oiseau de craie, choix anthologique et postface Rossano Rosi, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 291 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-573-5
et chacun se tourne comme une fleur
avide vers la flache de ciel chu
sur l’asphalte, ô vieux miroir de benzine
Guy Goffette, aujourd’hui et pour toujours, fait son entrée dans la prestigieuse collection Espace Nord. Il se voit offrir l’une des anthologies du catalogue, que l’on serait tenté d’appeler trop rares, car cultivant depuis quelques années la fâcheuse habitude d’être très réussies. De Poésie/Gallimard à Espace Nord, la poésie au format de poche consacre désormais tout à fait, en France et en Belgique, la dualité du Gaumais de Paris et du Parisien de Gaume. Un Guy Goffette que l’on sait attaché à ce petit grand écart ; territorialité du Nord par ailleurs partagée, probablement de bonne grâce, avec les admirés Rimbe et Verlaine.
C’est à cet hémisphère de la francophonie que fait le choix de nous conduire la couverture du livre entre nos mains tenu. Pas ici le Nord des charbonnages ni des campagnes hallucinées, mais une plaine cabossée et brumeuse, que défie un personnage inondé de pâleur. Rossano Rosi, qui compose et commente l’anthologie, trouve à lui donner un titre enlevé et signifiant. L’oiseau de craie, s’en explique-t-il en postface, formule discrète de l’auteur, est l’autre nom d’un Icare souvent aperçu au ciel d’une œuvre foisonnante. Icare et craie se contiennent mutuellement, anagramme ouverte sur la blancheur calcaire et la fragilité. Motif d’élévation et de fatalité, il doit nouer le lien entre, sur terre, l’inéluctable assignation à résidence, et plus haut, l’insatiable désir d’or bleu.
Le ciel est le plus précieux des biens dans l’existence. Le seul qu’on puisse perdre le soir et retrouver au matin, à sa place exacte, et lavé de frais.
Si chacun choisit ses pratiques, lire dans l’ordre l’œuvre d’un auteur ouvre souvent la voie aux axes subtils de son évolution. Les quelques éclats bien ordonnés par Rossano Rosi offrent cette chance, en moins de trois cents pages auxquelles une poignée d’heures suffisent. Cela revient, en quelque sorte, à traverser à vol d’oiseau la vaste étendue d’une œuvre généreuse commencée par un Quotidien rouge (1971) et terminant ici sur les inédits de Paris à ma porte (2021). Privilège rare et savoureux, pour moins de dix euros s’il vous plaît.
La cuisine, Icare y fut aussi
avant de fondre sur la mer — aigle
et proie de l’aigle — heureux peut-être
de suivre le mur près de la salamandre
la précipitation des ombres, des lares domestiques,
démêlant d’avance leurs pas des siens dans le labyrinthe
et raillant leur incroyable maladresse
Guy Goffette, poète dans ce livre comme prosateur dans d’autres, nous plonge dans l’air familier d’un verbe soigné. Soigneusement classique, soigneusement maîtrisé, soigneusement affranchi. Quelques alexandrins marmoréens (« Il y a tant à faire et tout va se défait », « Février à vélo est presque une gageure », « Ne parle pas encore. Écoute ce qui fut ») côtoient sans contradiction une liberté allant jusqu’au calembour d’enfance (« cyprès touchant le ciel si près ») et aux prosodies déliées. Cet air virtuose se voit porté par un sens de la formule et de l’image de haute tenue, dont on a plaisir à éprouver la force tranquille.
Les bouleaux sont en feu
et la terre en alerte fume
son calumet d’exil
Mes Indiens s’ensavannent
Leurs cris sont de silex
dans l’air bleu des allées
et dans les cours des fermes
quelques femmes lessivent
de vieux soleils
qui ont baissé les bras
Au Guy Goffette enlevé et solennel, l’anthologiste ne néglige pas d’associer une plus rare veine ludique, taquine, légèrement provocatrice, qui entretient le charme d’un écrivain délicat dont la grivoiserie fait aussi la poésie. Chutes maîtrisées et manœuvres de haut vol, telles sont les armes du poète qu’une plume habile continue de conduire, depuis cinquante ans, au plus près du soleil.
À l’aube les jardins
qui reviennent de la mer
ont les cheveux des filles
qui reviennent
de l’amour
Enfin, à ceux que ces quelques extraits n’auront pas fini de convaincre, notons que l’attentive postface de Rossano Rosi offre d’innombrables clés de lecture, et une hauteur de vue salutaire aux lecteurs assidus comme aux découvreurs curieux. La première de ces clés est un appel sincère qui tient des plus belles promesses : « Ouvrons les poèmes de Guy Goffette, et le lecteur l’accompagnera comme une ombre. » Nous ratifions de bon cœur.
Antoine Labye
Plus d’information
À la Foire du livre 2023
- Guy Goffette en dédicace à la Foire du livre : le 1er avril de 14h à 15h sur le stand 240 (Shed 2) et de 16h à 17h30 sur le stand 220 (Shed 2); le 2 avril de 13h à 14h sur le stand 240 (Shed 2) et de 15h à 15h30 sur le stand 220 (Shed 2).
- La collection Espace Nord fête ses quarante ans à la Foire du livre, le 31 mars 2023 à 20h (Shed 2 – 248). Une table ronde réunira Isabelle Wéry (autrice), Frédéric Saenen (auteur) et Tanguy Habrand (directeur de la collection Espace Nord), pour évoquer la collection et lire des extraits d’œuvres qui les ont marqués. La rencontre sera suivie d’un blind test littéraire et d’un drink.