L’humour comme rempart

Un coup de cœur du Carnet

Fanny RUWET, Bien sûr que les poissons ont froid, Iconoclaste, 2023, 266 p., 19 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-37880-347-6

ruwet bien sur que les poissons ont froidÉté 2021, Allie, 27 ans, vient de rompre avec son compagnon et d’emménager seule pour la première fois de sa vie. Pas franchement débordée de travail, ni de motivation pour celui-ci, et quelque peu désœuvrée, elle se lance dans un défi à la recherche de ses émotions intenses d’adolescente : retrouver son premier amour. Si tant est qu’on puisse appeler « premier amour » une relation à distance avec quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré… Avec l’aide de son fidèle ami Maxime, elle se met à la recherche de Nour, ce garçon au prénom épicène avec qui elle conversait longuement sur MSN. Au départ des quelques indices que recèle la mémoire de ses 15 ans, elle passe internet au peigne fin, échafaude des théories plus ou moins réalistes et avance de question en question.

Douze ans plus tard, je ne suis même pas certaine qu’il ait existé. Peut-être qu’il est toujours quelque part en banlieue de Montpellier. Ou peut-être qu’il n’y a jamais mis les pieds, qu’il m’a menti sur toute la ligne. D’ailleurs, peut-être que Nour n’était même pas son prénom. Ou peut-être qu’il est mort. Les gens ont tendance à faire ça.
Je n’en sais rien. Mais j’ai passé plusieurs mois à le chercher.
Et plus j’ai trouvé, moins j’ai compris. 

Certes, l’enquête progresse. En tout cas, lorsqu’Allie profite d’une crête sur les montagnes russes de son moral. Pendant ses hauts, le puzzle prend forme, se teintant parfois de nostalgie, ouvrant la porte sur divers souvenirs d’enfance et d’adolescence des années 2000. Durant ses bas, les questions sont autres, existentielles, plus sombres, bien que toujours abordées avec dérision… ou cynisme, ainsi qu’une certaine lucidité, fruit d’un regard analytique aiguisé.

Dans ces moments, j’ai envie que tout s’arrête. L’existence me semble hors portée, trop lourde. Je ne vois pas comment je pourrais continuer de vivre en sachant que rien n’est réellement sous contrôle et que le peu de certitudes que j’ai risque à tout moment de voler en éclats. Il n’y a aucun abri contre la vie si ce n’est de l’arrêter soi-même.

Je n’ai jamais voulu mourir, mais j’ai souvent eu envie de ne pas exister.
Une impression ronronnante que je n’étais pas faite pour la vie, trop hostile pour moi. Comme si le monde tournait trop vite pour que je puisse le suivre. Peut-être que je fais juste partie des gens qui sont imperméables aux belles choses et trop sensibles aux autres. 

Avec la recherche de Nour en guise de fil rouge, Bien sûr que les poissons ont froid est une plongée dans l’intimité de la narratrice. On reconnaît le ton caustique de Fanny Ruwet, son humour décalé, jamais sur pause, quitte à squatter les notes de bas de page. On se prend à rire tout haut à la lecture des aventures et réflexions de l’héroïne et à en redemander chapitre après chapitre.

On lève un coin du voile aussi, découvrant, sans vraiment s’en étonner, que sarcasmes et railleries sont un bouclier brandi face à la parfois dure réalité et une armure revêtue pour contenir l’expression des sentiments. Dans son premier roman, sans cesser tout à fait de se cacher derrière l’ironie, l’autrice et humoriste se met à nu, vide un peu son sac, et offre une facette d’elle tout en sensibilité.

Estelle Piraux