Pascal FEYAERTS, Locataire, Coudrier, 2022, 45 p., 16 €, ISBN 978-239052-041-2
Les Éditons Le Coudrier ont confié à Philippe Leuckx, avec raison et bonheur, « l’avant-dire » du dernier recueil du poète hennuyer Pascal Feyaerts. Entre poètes, surgissent des émotions inattendues lorsqu’ils formulent cette empathie singulière qu’engendre le poème de l’un sous la plume de l’autre. Leuckx met en évidence avec justesse cet « univers de doutes, de clartés et d’ombres » qu’il décèle dans les pages du Locataire.
Quant aux illustrations de Derry Turla qui ornent le recueil, elles ouvrent les textes comme autant de vertiges nouveaux, de prolongements de l’énigme irrésolue que propose le poète. Alternant dans les formats rectangulaires des visages estompés et des fragments d’édifices (maison, portiques), l’artiste semble fasciné par les regards qu’il a perçus dans les textes dont il devient le miroir.
La préface, les épigraphes (Rilke, Lekeuche, Lor), les dessins balisent ainsi le cheminement de la lecture dont on retarde volontiers le commencement, comme pour mieux apprécier chacune des compositions de Feyaerts. Ces indices qui alimentent le songe où ils nous plongent, invitent aussi à multiplier les lectures, à s’attarder à tel endroit, puis à tel autre, comme si une signification nouvelle, une émotion plus intense, avaient été estompées au premier contact et se renouvelaient en s’intensifiant d’une lumière nouvelle.
Les poèmes, courts, fulgurants, centrés par la typographie comme s’ils découpaient une fenêtre au milieu de la page, ouvrent des voies paradoxales et complémentaires : à l’incantation (De saisir l’instant subtil où la lune / Cède à la cécité du jour / À la vérité qui aveugle), au questionnement (ou peut-être que je m’égare / À trop chercher la lumière), et à la détresse, (Un épiderme (…) ne dit rien / Sur l’origine des visages). Des images récurrentes inspirent le poète et sollicitent l’attention et l’empathie: les visages (On peut y entrer / Par effraction / Comme ça) et l’ailleurs (Dieu nous a poignardés) – dont les vers désemparés et particulièrement inspirés disent les cathédrales et les élans surgissants (Par quel étrange transport / Arriverons-nous au ciel).
Dieu, le ciel, le visage : trois mots, trois univers. Ils conduisent le poète à questionner son propre art : Écrire des livres/ Pour quoi faire ?. La réponse ne peut être que question, encore et encore…pourtant Juste un mot une parole / Suffirait / À rendre au poème / La clarté de son encre.
Chaque page du Locataire s’ouvre telle une mise en abyme. Les mots formulent des silences, la voix du poème est muette.
C’est peut-être de là, de ce mutisme que jaillit le chant de ces textes dont chaque lecture donne une lumière nouvelle, différente. Le paradoxe devient incandescent, comme le silence, comme la page blanche.
…Donner corps à ses mots
Jean Jauniaux