Dark Side of the Moon

Un coup de cœur du Carnet

Olivier PAPLEUX, La Vénus de la vallée mosane, M.E.O., 2023, 208 p., 19 €, ISBN : 978-2-80700-383-5

papleux la venus de la vallée mosaneUn ouvrier couvreur, André Lelièvre, file le parfait amour :

Eve est nue (…) je frétille comme aux premiers jours ! (…) Mon émotivité beaucoup plus intense, profonde et durable que la normale explique probablement pourquoi je désire à ce point ma femme. 

Comme Emmanuel, leur enfant (onze ans), est éveillé et complice, l’épouse enceinte, les premières pages donnent l’impression de précipiter vers un feel-good book. Mais quelques singularités, d’emblée, embuent le miroir. Déjà, le narrateur détonne parmi ses collègues :

Ces derniers jours, l’analyse des sociétés matriarcales encore préservées dans le monde occupe tous mes temps libres. 

Eve, dont il ne se lasse pas d’admirer la plastique, a dans le visage comme une disgrâce, une brutalité. Emmanuel, adopté, rejette toute connexion avec ses racines coptes, tout en assemblant un puzzle restituant une… Expédition d’Egypte. Coup de tonnerre ! André visite le père d’Eve, qu’elle ne revoit plus, et découvre que la grand-mère et la mère de son épouse sont mortes en accouchant de leur premier enfant, une fille. Il pourrait perdre Eve ? Il se convainc : il lui reste neuf mois (et dix lunaisons) pour la sauver.

Avec la grossesse en arrière-plan, André précipite le lecteur dans une quête troublante, tentant de décrypter l’histoire génétique de son épouse pour mettre à jour l’anomalie qui pourrait expliquer la répétition des drames. Le récit bifurque vers la vulgarisation d’une série de notions (ADN, gène, génome, mitochondrie, chromosome, etc.) puis l’histoire des différents hominiens (Eve manifestant un reliquat du Néandertal disparu, supplanté par l’Homo sapiens, supérieur à la normale). Un parfum du Monde de Sophie, ce best-seller de Jostein Gaarder qui emballait l’histoire de la philosophie dans un roman-prétexte, en version génétique ?

Le lecteur oscille. Est-il question d’héroïsme et d’amour, ou de monomanie et de délire ? D’autant que le père entraîne le fils, l’impliquant dans une profanation de sépulture et des questionnements sur la mort, l’identité qui le haussent au statut d’adulte responsable mais pourraient tout aussi bien le traumatiser à vie. D’autant que l’époux, obnubilé par l’avenir de sa femme, en néglige son présent.

Ce qui est sûr ? On apprend en s’amusant, beaucoup, on explore des pistes historiques méconnues :

L’auteur part du postulat que les organisations humaines préhistoriques n’étaient pas patriarcales (…) Les femmes détenaient le pouvoir, mais les hommes l’exerçaient. (…) chaque tribu était composée d’individus issus de la même filiation maternelle. (…) L’amoureux était choisi en dehors du clan (…) et n’exerçait aucun droit paternel (…) Toutes les dérives liées au modèle du mâle dominateur étaient découragées. 

On réfléchit sur le sens de la vie, de la mort, sans œillère, quitte à sourciller :

(…) les plus faibles ou les moins adaptés disparaissent avant de se reproduire. La mortalité est très bonne pour l’évolution. (…) La mort est nécessaire pour que survive toute vie sur Terre. 

On médite sur la nécessité des métissages : si l’Homo sapiens a pu émigrer plus à l’ouest, au nord, survivre en Europe face au froid… grâce à un gène transmis par le Néandertal, quelles leçons en tirer pour l’analyse du présent ?

Surtout ! On lit aisément et, ce qui est rare et précieux, avec de plus en plus d’appétit. La langue est fluide, travaillée. Et on notera la qualité des épigraphes distillées au gré des parties, l’omniprésence de la lune, qui renvoie à la femme : 

« La rêverie est le clair de lune de la pensée. » (Jules Renard)

Quant aux contenus… Rien n’est blanc ou noir, tout interpelle et interroge. Et le récit se colore de plusieurs suspenses, courant de l’intimité au grand large cosmique. Ne déflorons pas ceux-ci et laissons-nous happer par l’aventure, qui mènera à travers les millénaires et à travers les pays, des grottes de la vallée mosane à celles du Périgord, en passant par l’Egypte, Israël, la Roumanie. 

Avec La Vénus de la vallée mosane, Olivier Papleux, sans effet tapageur, parvient à tendre progressivement sa trame. Jusqu’à susciter le doute du critique. Il suffirait d’un fil narratif adjacent pour dynamiser l’ensemble et le mener vers le thriller, le best-seller, l’adaptation en film ou série. Mais, in fine, serait-ce pour un plus romanesque ou un moins littéraire ? Une épigraphe de Mark Twain pousse l’incertitude à bondir hors du cadre du roman :

Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit. 

Philippe Remy-Wilkin