Désenchantées

Corinne HOEX, Nos princes charmants, Impressions nouvelles, 2023, 128 p., 14 €, ISBN : 978-2-39070-043-2

hoex nos princes charmantsCorinne Hoex est aussi bien prosatrice que poétesse. Elle en offre une preuve éclatante en ce printemps où, quelques semaines à peine après la sortie du livre de poésie L’ombre de toi-même parait un recueil de récits courts, Nos princes charmants.

L’ironie point sous l’intitulé doucereux. Ni princes ni charmants, les personnages masculins dépeints ici sont des maris infidèles, des compagnons indifférents, qui préfèrent leur travail à leur épouse, des hommes vieillissants, dont le pouvoir de séduction s’amuït, des amants lassés. L’un ment pour dissimuler ses frasques, l’autre se fait odieux, quand un troisième ne voit plus guère en sa compagne qu’une cuisinière à sa disposition. Racontés surtout du point de vue des femmes, ces fictions déclinent toutes les nuances du désenchantement amoureux – banale érosion des sentiments, découverte du monstre tapi derrière le visage charmant des premiers rendez-vous, ou déception face au quotidien :

Ce sont des dieux, Jean-Claude. Et maintenant que j’ai goûté aux dieux, je ne peux plus me contenter des hommes, même d’un homme comme vous.

Loin d’attendre un improbable miracle, les personnages féminins s’activent: elles rompent, se rebellent, se vengent, se débarrassent du goujat, répondent à l’humiliation par la cruauté. La joute est souvent jubilatoire. Leur combat commun tire, de récit en récit, le fil d’une sororité réjouissante et le « nous » du titre prend tout son sens. Mais les dernières lignes du volume renversent la perspective, brouillant toute lecture univoque, et repeignent rétrospectivement l’ensemble d’une teinte plus mélancolique.

Dans chaque récit, l’autrice manie l’humour avec autant d’élégance que de générosité. On ne mentionnera que l’incipit de l’excellente nouvelle « L’œuf » :

Bernard, le mari de Violette, était linguiste et amateur d’œufs. Ces deux particularités n’avaient rien en commun mais elles coexistaient.
Quand il se voulait tendre, Bernard, se tournant vers Violette, lui offrait du « ma poule ». C’était l’amateur d’œufs qui s’adressait à elle. Quelquefois aussi au début il l’appelait « ma petite langue », « ma petite langue bien pendue », et dans ce cas  Violette avait affaire au linguiste. « Ma petite langue bien pendue », Violette, ça la ravissait. Puis, avec les années de mariage, elle eut droit à « ma petite langue de vipère » et même vers la fin « ma petite langue morte ». Pourtant, ce fut Bernard qui partit le premier.

Le recueil séduit encore par la subtilité de sa construction. Des motifs le traversent qui donnent à l’ensemble une unité thématique. On guettera ainsi la réapparition, de texte en texte, d’une mouche qui s’insinue dans les mécaniques les mieux huilées, ou d’un parfum qui signale une présence inattendue.

Certains personnages apparaissent dans plusieurs récits. Héros de l’un, simple silhouette dans l’autre, ils contribuent à multiplier les points de vue et à troubler les certitudes acquises. Parmi eux, Corinne Hoex octroie une place de premier plan à une romancière, protagoniste de la première (« Le commissaire Georges ») et de la dernière (« Le bouquet ») nouvelles. Elle est affublée d’un mari volage, auquel elle fait accroire qu’elle ignore tout de ses incartades. C’est pourtant elle qui règle son compte à l’infidèle époux par roman interposé et tire les ficelles de l’histoire depuis la coulisse. Les princes charmants sont prévenus. 

Nausicaa Dewez

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