Colette NYS-MAZURE et AUCK, Camille, Atelier des noyers, coll. « Carrés secrets », 2023, 30 p., 12 €, ISBN : 978-2-490185-93-1
On sait la stimulante interaction que la poétesse Colette Nys-Mazure aime à nouer avec les arts plastiques. Dans sa bibliographie, nombre de textes naissent des illustrations qui en ornent l’édition, les suscitent parfois, les éclairent toujours. L’incandescence de la poésie trouve alors à se démultiplier par le regard que le lecteur et la lectrice portent sur l’œuvre dessinée, peinte, sculptée ; s’y trouve une surcharge d’émotion, de lumière, de grâce.
Les Éditions L’Atelier des noyers tracent par leur catalogue une route poétique qui aime à « bifurquer du chemin tout tracé ». L’éditrice Claire Delbard ne pouvait qu’être séduite « quand Colette Nys-Mazure (lui) a proposé cette version libre autour de la figure de Camille Claudel, sous forme d’hommage poétique vibrant, tout en nuances (…). La Collection Carrés secrets devint ainsi l’écrin du travail complice de la poète et de la plasticienne Auck, ‘passionnée par les encres et les papiers’ ».
L’Atelier des noyers avait déjà accueilli deux recueils de Colette Nys Mazure, Jardins empans du rêve (avec illustrations de Colette Ottmann) et Chaque aurore te restera première (avec illustrations d’Anne Le Maître).
S’adressant au « lecteur-regardeur », la poétesse nous donne une des clés de l’abîme auquel nous invite le livre : « Dans quelles profondeurs plongerons-nous pour retrouver la nappe phréatique qui nous hallucine ? ». Dans cette remarquable introduction, en guise de « Prélude », Nys-Mazure dévoile le cheminement qu’elle effectue vers ce qui deviendra poème entrelacé aux dessins, « (aux) couleurs – ocre rouge, ocre jaune, le jaune de Naples, la terre de Sienne naturelle, la terre de Sienne brûlée, la terre d’ombre, le bleu céruléum, et le blanc pour les rehauts. »
Écrire et peindre ce que l’œuvre d’une artiste comme Camille Claudel inspire est, à l’évidence, « un défi, une aventure (…) : harceler le mystère d’un art jusqu’à lui faire rendre l’âme. » L’hommage rendu à Anne Delbée nous est comme une mise en abyme des sentiments que l’évocation, quelle qu’elle soit, de Camille Claudel, éveille en nous. Il suffit que nous ayons lu le livre de sa petite-nièce, Reine Paris, ou de nous souvenir de l’interprétation qu’en donna Isabelle Adjani dans le film de Bruno Nuytten qui s’en est inspiré.
La double question demeure alors : que nous diront ces poèmes de Colette Nys-Mazure ? que nous montreront les dessins d’Auck ? Y verrons-nous une artiste martyre, victime de deux bourreaux, Auguste Rodin et Paul Claudel ? Ou la folie ?
Laissons-nous porter par la double approche des yeux qui lisent et qui regardent. On s’aperçoit alors, dans la – si simple et somptueuse à la fois- mise en page du texte et du dessin qui se font face, que notre place est au cœur du dispositif. Au cœur de l’émotion qu’engendrent textes et images, comme s’ils étaient des « rehauts » les uns pour les autres.
Le livre s’achève par un « Final » comme il débutait par un « Prélude ». La poétesse analyse alors les choix réalisés par la complice plasticienne. Les choix qu’elle a faits de telle ou telle œuvre de Camille Claudel pour l’insérer dans ce volume, mais aussi, bien sûr, les vrais choix que fait Auck qui « tourne autour de la sculpture, cherchant à saisir ce qui se dérobe, s’échappe, fuit comme le sang hors des veines, l’eau s’égarant dans les sables. »
On est frappé alors, revenant aux poèmes, de se rendre compte qu’ils insinuent en nous cette émotion intense et souterraine, qui jaillissait de l’œuvre initiale de Camille et qui nous est réveillée, révélée à nouveau.
Jean Jauniaux