Claude DONNAY, La femme bleue, Chat polaire, 2023, 82 p., 12 €, ISBN : 978-2-931028247
Sous une couverture dessinée par sa consœur Anne-Marielle Wilwerth, à l’enseigne du Chat polaire dirigée par Marie Tafforeau, Claude Donnay empreinte l’épigraphe de La femme bleue à la poétesse bulgare Aksinia Mihaylova : Le bleu du ciel / est promis aux autres.
À l’entrée du livre, aux pages paires, le poète réserve le récit d’ « elle ». Les pages impaires accueillent ce qu’en écrit « l’autre », qualifié dès le premier vers de « ténébreux ».
L’exploration d’âmes à laquelle va nous mener la lecture du recueil est balisée au début de l’ouvrage, comme si le mode d’emploi ainsi donné allait pouvoir libérer la lecture de tout ce qui n’est pas émotion : Deux terres. Deux êtres. / L’un debout dans le gris, l’autre baignant dans le bleu. / Entre eux une fracture de ciel et de mer. / Un gouffre où rampent des rêves en fusion.
Les récits de l’un et de l’autre franchissent la ligne arbitraire qui les disposait de part et d’autre du livre ouvert sur la table. Elle et lui écrivent, s’écrivent. Et, au fil des pages, on est saisi de cette poésie qui est à la fois l’écriture de ces lignes, mais aussi leur sujet ; la chair des « personnages », mais aussi leur raison d’être ; l’énigme et sa résolution ; le rêve et l’affrontement du réel.
Pourtant elle prétend ne pas être poète, (…) juste une voix de myrrhe / et d’encens. Une voix d’entre les pierres millénaires. / Et elle ouvre une fenêtre rouge dans un mur borgne / pour appeler l’oiseau qui portera son chant.
Dans le sillage de leurs abandons au rêve, on se surprend à évoquer les lectures anciennes (Musset), les jeux d’enfant (la marelle : Si les falaises s’effritent, la craie dessine un chemin / de marelle où elle sautera demain au chant du rossignol), et à concevoir, comme Claude Donnay semble nous y inviter, la perception poétique de toute chose qui surviendra lors de ce récit. Les deux chemins, le gris et le bleu, sont appelés à se croiser, car l’un et l’autre vivent l’espoir d’une autre chance entre les mailles du temps.
La poésie est ici lyrique par le chant qu’elle élève dans ce mouvement sensuel auquel ils aspirent l’une et l’autre, la femme bleue et le ténébreux. Car Peut-on aimer l’amour sans l’étreinte ? L’interrogation est en italiques. Elle n’appartient ni au ténébreux, ni à la femme bleue.
Autre affrontement : celui avec la ville, celle des immeubles de verre et de gris, mais aussi Dans l’odeur de kébabs, /de frites. D’urine aussi. Sur les murs. Dans les porches / où dorment des gens mis au clou.
On découvre que le récit pourrait être celui de la rencontre vers laquelle se dirige la femme bleue. Elle est à bord d’un avion et Elle passera au-dessus de lui avec les ailes d’argent / d’un long courrier (…). Le ténébreux, lui, traverse les paysages par le train du matin.
Cette histoire, est-ce lui le ténébreux qui l’écrit ? Cette histoire est-elle celle d’une rencontre ou d’une séparation ? De deux poèmes entrelacés, comme deux êtres qui se seraient cherchés par les mots ?
À chacun de donner sa lecture de ce texte flamboyant, dont le lyrisme éblouit chaque page d’une lumière scintillante.
Il reste, une fois refermé, un recueil dont chaque page nous dit Au bout du bout de l’espoir, il y a toujours une flamme / à raviver, une braise à naître un feu.
N’est-ce pas là une des vertus essentielles de l’écriture poétique ?
Jean Jauniaux